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de son armée assumée directement par le ministre sous le couvert mal déguisé du Roi.

En voyant le rôle attribué à Lauzun, en se rappelant les liaisons qui avaient uni jadis ce général à Dumouriez, Rochambeau comprit qu’il avait été la dupe de ces deux hommes et il s’en plaignit amèrement à son lieutenant. « Le maréchal m’a envoyé chercher sur-le-champ, écrivait Biron à Dumouriez en lui rendant secrètement compte de la façon dont avaient été reçues les dépêches du 22. — Je l’ai trouvé convaincu qu’on lui avait caché cette disposition, que j’étais dans le secret, et qu’elle était le résultat d’une petite intrigue à la tête de laquelle j’étais. Vous pouvez juger qu’après cela, je n’ai pas été bien reçu. Il m’a dit sèchement qu’il ne pouvait pas approuver une mesure à laquelle il s’était toujours opposé, mais que cela ne l’empêcherait pas de concourir de tout son pouvoir à son succès. »

On n’ignore pas que le maréchal tint parole, qu’il déploya une activité, une initiative extraordinaires pour mettre Lauzun en mesure de réussir. Celui-ci, dans ses lettres du 25 au 28, et plus tard Dumouriez, dans la séance du 4 mai à la Législative, rendirent un hommage public à cette abnégation. Malheureusement tous ces efforts devaient être perdus. Les instructions du 22 avril eurent beau être exécutées à la lettre : Biron échoua pitoyablement devant Mons, et Dillon fut encore plus malheureux devant Tournay.

Peut-être essayerons-nous de retracer un jour ces événemens dont la relation détaillée et véridique est encore à écrire : pour le moment nous ne l’entreprendrons pas. Nous avons voulu simplement faire voir comment Dumouriez avait été amené à préférer au plan rationnel et méthodique de Rochambeau la conception beaucoup plus hasardeuse de Lauzun.. Fort peu au courant de la guerre, n’ayant aucune idée des nécessités de métier auxquelles doit se plier un plan de campagne, Lauzun n’avait entrevu — en établissant le sien — que le côté purement politique de l’invasion du Brabant.

Comment ce plan n’eût-il pas échoué !

Et en voyant ce coureur de boudoirs se faire attribuer adroitement, clandestinement, au moyen de manœuvres secrètes comme l’envoi de Beauharnais à Paris, le rôle prépondérant dans l’offensive de l’armée du Nord, on ne peut s’empêcher de songer à la facilité avec laquelle les hommes se font illusion lorsqu’ils se