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imposer en provoquant sa démission éventuelle, ou à le lui dissimuler jusqu’au dernier moment.

Ce fut à ce dernier parti que Dumouriez s’arrêta.

Le futur vainqueur de Valmy[1] et de Jemappes ne répugnait pas, il faut malheureusement l’avouer, à ces procédés souterrains à ces manœuvres tortueuses, et comme Lauzun se trouvait là tout de même dans son élément, les deux amis s’entendirent facilement pour agencer clandestinement leur conjuration de palais. C’est un des détails les plus pénibles de cette étrange affaire, de voir ces deux hommes s’ingénier à tenir le maréchal en dehors de leurs agissemens, à lui dissimuler également leurs tentatives d’embauchage à l’étranger et leurs combinaisons stratégiques pour l’invasion des Pays-Bas, à agir en un mot non point en hommes d’État poursuivant la réalisation d’une idée avouable, mais en politiciens véreux cherchant à faire aboutir par des chemins détournés une entreprise louche. Cette pensée de tenir soigneusement Rochambeau en dehors des nouvelles combinaisons préoccupe Dumouriez, et il y revient à diverses reprises dans sa correspondance : « Je vous prie de ne parler (de tout cela au maréchal), que lorsque la machine sera parfaitement montée, et même je crois que vous pouvez vous dispenser de lui faire cette confidence. » Et ailleurs : « Je crois le maréchal très opposé au plan d’offensive. Quand il aura les ordres, vous vous chargerez de le convertir. Je n’ai pas besoin de vous recommander la plus souveraine discrétion. »

Ce n’est pas une des moindres anomalies de cette époque féconde en surprises de voir entrer, dans ce véritable complot contre le maréchal, son propre fils qui n’était cependant plus un jeune homme[2], et qui commandait en qualité de maréchal de camp la place de Maubeuge. Séduit par l’ascendant de Lauzun, Joseph Rochambeau avait accepté de faire lui aussi de l’embauchage en dehors de son père et demeurait même, par suite de sa position sur l’extrême frontière, l’agent le plus actif de cette entreprise hasardée. Hasardée, et peu glorieuse, et qui ne paraissait guère devoir aboutir ! Effectivement, les jours s’écoulaient ; on était arrivé à la veille de la déclaration de guerre, et Biron n’avait envoyé à Paris pas le moindre uhlan. Dumouriez s’étonnait de

  1. Bien qu’on attribue généralement le gain de la bataille de Valmy à Kellermann, c’est véritablement à Dumouriez que revient l’honneur de cette journée.
  2. Il était né en 1750 et fut tué comme général de division, à Leipzig, en 1813.