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A propos de cette invitation de Dumouriez à Lauzun de « laisser arriver les déserteurs, » il est indispensable que nous donnions ici une explication.

Aux termes des conventions diplomatiques intervenues entre la France et l’Autriche, conventions toujours en vigueur, puisqu’à la date du 1er avril, la guerre n’était point déclarée, les déserteurs ne pouvaient être accueillis ni dans l’une, ni dans l’autre armée, et devaient être, au contraire, livrés à la première réquisition de la puissance intéressée. Depuis longtemps, et déjà à l’époque où Narbonne occupait le ministère de la Guerre, Lauzun avait signalé l’apparition dans nos lignes d’un certain nombre de déserteurs autrichiens et avait indiqué la possibilité de former avec eux des bataillons ou des légions auxiliaires. En réalité, cet exode se réduisait à fort peu de chose ; mais, dans sa préoccupation d’attribuer, de faire attribuer à l’armée du Nord le rôle prépondérant dans les opérations, Lauzun dénaturait les faits, leur accordait une importance qu’ils n’avaient nullement. Déjà, à la date du 6 janvier, il avait écrit à Narbonne « qu’on ne pouvait se faire une idée de la prodigieuse désertion qui devait éprouver l’armée impériale dans les quinze premiers jours de la déclaration de guerre, de l’embarras et de la souffrance que cette désertion mettrait dans toutes les opérations de l’ennemi. » Et il lui annonçait encore deux mois après, le 6 mars, « qu’il se préparait un grand mouvement de désertion dans les troupes de l’Empereur, » et qu’il était averti, lui Lauzun, « qu’il pourrait nous venir d’un moment à l’autre des compagnies, peut-être même des corps entiers avec chevaux, armes et bagages. »

Lauzun avait repris ce thème avec Dumouriez. En montrant au ministre les Brabançons, c’est-à-dire les Belges, prêts à se soulever en notre faveur, en lui signalant les régimens autrichiens disposés à passer en masse sous nos drapeaux, il lui faisait toucher du doigt la nécessité d’utiliser sans retard des sentimens aussi favorables à notre cause. Pour on tirer parti, il fallait obligatoirement que l’armée du Nord prît le plus tôt possible l’offensive ; qu’elle pénétrât en Belgique ; qu’elle fît tomber par son irruption en pays autrichien les scrupules des quelques Belges qui pouvaient hésiter encore à se soulever.

Dumouriez était tout disposé à prêter l’oreille à ces propositions. Effectivement, s’il avait conçu jadis des doutes sur l’efficacité du soulèvement belge contre la domination autrichienne, c’est