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très fortes, qu’il est inutile de détailler, se présenteront à votre esprit et feront impression sur lui... »

Après avoir pesé ainsi directement sur l’esprit de Dumouriez, Lauzun songea à faire agir vis-à-vis du ministre d’autres influences qu’il savait puissantes, comme celle de Talleyrand, par exemple ; il écrivit donc le même jour à l’ancien évêque d’Autun pour lui démontrer la nécessité de donner à l’armée du Nord la prépondérance sur les deux autres. Une force militaire considérable entretenue par nous vis-à-vis du Brabant, destinée à y pénétrer, prête à y revivifier la flamme insurrectionnelle mal éteinte en 1790, c’était pour l’Empereur l’obligation de maintenir des troupes nombreuses dans les Pays-Bas, c’était un obstacle à toute entreprise offensive tentée ailleurs contre nous. Mais ce résultat ne pouvait plus être atteint « si l’on avait la maladresse de réduire l’armée du Nord au pied de défensive, et cela pour rendre active la seule qui ne dût jamais l’être, et la faire commander par le moins expérimenté de nos trois généraux, quand le plus habile ne serait pas trop bon pour la circonstance. Dites-leur donc que s’ils veulent absolument que le destin de la France dépende de la médiocrité de M. de Lafayette, il faut au moins se ménager les moyens de le soutenir s’il est battu ; M. de Rochambeau peut seul lui donner du secours, mais il ne faut pas le laisser dans un strict état de défensive qui ne lui permette pas de rien détacher. On a persuadé au ministère et même à M. de Rochambeau que c’était la Révolution de Liège qu’il fallait faire ; son succès n’entraînera certainement ni le Brabant ni la Hollande, et celle du Brabant eût nécessairement entraîné Liège... J’ai écrit tout cela à Dumouriez. Dites-lui encore... qu’il ne souffre pas qu’on livre le Nord de la France, Paris et, ce qui est cent fois plus dangereux, l’opinion... »

Dumouriez avait mis huit jours à répondre à la première lettre de Lauzun ; il lui écrivit cette fois par le retour de son propre courrier, lui exposant que des raisons importantes « qu’il lui expliquerait et que Lauzun approuverait » avaient dicté la décision du Conseil. Après avoir fait pressentir à son « brave, spirituel et franc ami » que l’ouverture des hostilités était imminente, Dumouriez ajoutait : « En attendant, préparez-vous à faire des niches à vos voisins, et si, sous huit jours, je n’ai pas une réponse catégorique (de l’Empereur), laissez arriver non seulement les déserteurs armés ou non, mais même les corps entiers s’ils se présentent. »