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européennes, à moins qu’ils ne reçoivent directement et sans interruption ces articles de la métropole. Quoiqu’un peu moins dépourvu à ce point de vue, notre Sénégal-Soudan, par la nature de ses productions, par l’obstacle qu’offre le climat à la résidence prolongée et au travail extérieur des blancs, est assez dans le même cas. Tout ce dont aurait besoin une troupe opérant dans le Baghirmi, dans le Ouadaï, dans le Borgou devrait donc venir de France. Or, en cas de guerre en Europe, du moins avec l’Angleterre, nos communications entre la métropole et le Sénégal ou le Congo seraient absolument fermées ; nos colonies de la côte occidentale et du centre de l’Afrique se trouveraient complètement coupées ; n’ayant que peu de ressources par elles-mêmes, en troupes blanches du moins, et médiocrement douées en approvisionnemens et en munitions, ne pouvant d’elles-mêmes les renouveler, bloquées en outre du côté de la mer, elles auraient la plus grande difficulté à se défendre : à plus forte raison, ne pourraient- elles aucunement soutenir celles de nos colonnes qui pourraient se trouver dans ces possessions lointaines, destinées à être parmi les plus importantes et les plus riches de notre domaine d’Afrique, le Baghirmi, le Kanem, le Ouadaï. La situation de Fachoda se représenterait indubitablement : massacre ou capitulation, c’est à peine si nous aurions le choix.

Notre prétendu empire continental africain, qui fait un si bel effet sur les cartes, est donc la plus fragile des agglomérations de territoires ; tel quel, il est et restera toujours amorphe, sans vie commune, sans relations entre ses trois membres, sans possibilité d’action concertée et de soutien mutuel entre eux. On peut considérer que, sauf la réalisation de la grande œuvre dont nous allons parler, il est voué à l’anémie d’abord, à la dispersion ensuite.

Par une rare fortune, qu’il dépend de notre sagacité et de notre énergie d’utiliser, le troisième massif de nos possessions continentales africaines, celui du nord, l’Algérie et la Tunisie, est dans des conditions autrement fortes que ceux de l’ouest, le Sénégal-Soudan, et du centre, le Congo-Oubanghi. Il ne s’agit plus là de contrées équatoriales ou tropicales, rebelles au séjour prolongé et à la multiplication des blancs, dépourvues, en outre, des approvisionnemens et articles divers nécessaires au soutien de colonnes expéditionnaires. L’Algérie et la Tunisie sont et resteront, sans doute, la première colonie européenne de l’Afrique.