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qu’il n’envie aucune récompense, même les plus légitimes. Au moment où Rochambeau écrivait sa lettre à Lauzun, celui-ci, nommé lieutenant général du mois de janvier précédent, remplissait à Valenciennes les fonctions de chef d’état-major du général absent et même l’intérim du commandant en chef. A vrai dire, il existait à l’armée plusieurs lieutenans généraux d’une ancienneté antérieure à la sienne : d’Aumont, Crillon, Caulaincourt, d’Elbhecq, d’HarvilIe ; mais, outre que certains d’entre eux étaient pourvus de commandemens territoriaux qui les tenaient éloignés du quartier-général, ceux-là même qui résidaient à Valenciennes, comme le duc de Crillon, par exemple, affectaient de demeurer dans le ressort de leur division, et laissaient Lauzun trancher du général en chef. Celui-ci en contractait doucement l’habitude, tout en maugréant contre Rochambeau, qui l’accablait de besogne, assurait-il, et à qui « il était égal qu’il en crevât. »

Lauzun, sous le ministère précédent, avait entretenu avec son ami Narbonne une double correspondance, l’une officielle, l’autre intime dans laquelle il savait obtenir de l’ami ce qu’hésitait parfois à lui accorder le ministre. Il avait profité de cette intimité pour discréditer quelques camarades qu’il jugeait dangereux ou simplement importuns, notamment Grillon, d’Aumont, de la Rocque : « Tu connais nos lieutenans généraux, MM. d’Aumont et de la Rocque, — écrivait-il à Narbonne le 9 décembre 1791, alors qu’il n’était lui-même encore que maréchal de camp, — le premier, sans aucun talent militaire, ni même l’habitude de servir, est cependant utile par ses principes et son attachement à la constitution ; le second est totalement fini, sans fermeté ni activité, et le nouvel ordre de choses lui déplaît mortellement... »

A l’arrivée aux affaires de Dumouriez, Lauzun tâta sur-le-champ le terrain et chercha à savoir s’il lui serait possible de continuer avec le nouveau venu les erremens qu’il avait suivis avec son prédécesseur. Dumouriez était ministre du 15 mars, et la nouvelle en était arrivée à Valenciennes le 17 ou le 18 : à la date du 19. Biron écrivait au successeur de Narbonne : « Vous êtes, Monsieur, ministre du département le plus important ; vous le connaissez mieux que personne, et vos talens et votre patriotisme doivent vous donner une grande influence dans le Conseil du Roi. Vos principes politiques et constitutionnels ont si constamment été les mêmes depuis bien des années, que je regarde comme un devoir de l’amitié de vous soumettre quelques réflexions qui fixeront peut-être