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très loin. Soit que le vieux reître s’exprimât en allemand, son idiome naturel, soit qu’il voulût se servir du français, dont il ne savait que quelques très rares mots, il parlait un jargon à peu près inintelligible, et cette pénurie des expressions faisait encore ressortir la rareté et l’inanité des idées. Dans les réunions tenues pour l’élaboration du plan de campagne, Rochambeau et Lafayette comprirent bien vite qu’il n’y avait aucun compte à tenir des radotages de ce soudard cosmopolite : on le laissa complètement de côté.

La discussion s’ouvrit donc véritablement entre le commandant de l’armée du Centre et celui de l’armée du Nord, et tous deux furent d’accord que, dans la situation des armées, avec les élémens disparates dont on disposait, le plus sage était de renoncer momentanément à l’offensive ; d’aguerrir les troupes par des escarmouches et des combats d’avant-postes ; d’attendre, appuyé à notre excellent système de places fortes, que l’ennemi fît une faute dont on pourrait profiter.

Mais étant donnée la situation de l’Europe, étant donné surtout l’état des esprits en France où tout était à la guerre, ce plan, raisonnable et sage au point de vue militaire, mais aussi plan terne et craintif en apparence, ne pouvait satisfaire ni l’opinion, ni les partis. Pour l’imposer, pour en faire comprendre la nécessité aux foules, il eût été indispensable que la France possédât un gouvernement ayant la confiance de la nation, il eût été nécessaire que ce gouvernement crût à la supériorité du plan proposé, il eût fallu enfin qu’il eût la volonté de le faire accepter. Or, c’était précisément le contraire de tout cela qui advenait. Le gouvernement n’était point maître de l’opinion publique ; il était impuissant à la maîtriser ; et, au surplus, dans le cas actuel, c’était dans le sens d’une offensive téméraire qu’il la dirigeait, et non dans celui d’une temporisation prudente.

Plus qu’aucun autre, Dumouriez espérait de grands effets de la rupture des relations diplomatiques avec l’Empire ; plus que personne, il estimait que le régime nouveau ne pourrait acquérir de stabilité qu’à condition d’obtenir la sanction des armes. Au point de vue militaire, le nouveau ministre des Affaires étrangères était de ceux qui sont convaincus de la supériorité de l’offensive, même quand il s’agit de se défendre ; aussi sa première parole, en prenant connaissance des dispositions arrêtées par Rochambeau et Lafayette, fut-elle pour les trouver trop timides. Il dit à Rochambeau