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S. M. y est importunée de sollicitations ; elle a résisté, cependant, à toutes celles qui lui ont été faites en faveur du duc de Lauzun, lequel, à l’âge de vingt-six ans, après avoir mangé le fonds de cent mille écus de rentes, est maintenant poursuivi par ses créanciers pour près de deux millions de dettes. Ce protégé de la princesse de Guéménée désiroit obtenir par la Reine des lettres d’État qui le missent à couvert de toutes les poursuites ; mais sur les représentations instantes qui ont été faites à S. M. elle a vu toute l’injustice d’une pareille demande, et elle s’y est refusée. » M. Geffroy, l’éditeur des lettres de Mercy, va plus loin que nous et ne forme pas le moindre doute sur le vilain calcul de Lauzun. Ce qui est certain, c’est que Marie-Antoinette refusa de se faire auprès du Roi l’avocat de cette mauvaise cause et que Lauzun lui voua, pour ce refus, une haine qui ne devait jamais pardonner.

Entre temps, les billets à ordre, les traites impayées s’entassaient chez le concierge de l’hôtel Lauzun ; le suisse était impuissant à empêcher les fournisseurs de faire du scandale ; l’intendant écrivait à son maître des lettres désespérées pour signaler le vide irréparable de la caisse. La situation en vint à ce point critique que le séjour de Lauzun en France ne fut plus possible. Il songea alors à offrir ses services à Catherine de Russie, avec l’espoir, a-t-on prétendu, de supplanter Potemkin ; mais la négociation n’aboutit pas. Il passa alors du ministère de la Guerre au département de la Marine, s’en fut un moment au Sénégal, revint en France, et repartit à nouveau, cette fois pour l’Amérique, avec Rochambeau, cherchant à s’étourdir et à se faire oublier.

C’est à ce moment qu’éclatait la Révolution. Tout naturellement, ce bouleversement apparut à Lauzun comme une occasion de sortir de la situation désespérée qui était la sienne. Il l’accueille avec faveur, avec transports, et comme il ne sait rien faire avec modération, il fait montre, d’abord, des idées politiques les plus avancées, des opinions les plus hostiles à la Cour. Il n’y a rien chez lui des ambitions généralement modérées et des aspirations légitimes des députés du Tiers. Chez la plupart de ceux-ci, en effet, il n’existe pas d’hostilité réelle ou profonde contre la monarchie, mais seulement la volonté nette, énergique, soutenue, de diriger la royauté dans une voie nouvelle, celle des réformes sages, étudiées, pondérées. Il sort de toutes ces poitrines un