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d’odeur, un flacon de corylopsis du Louvre, parfum d’ailleurs excellent quand il n’est pas dans la soupe. Et c’est ainsi que s’écroule notre beau rêve d’un bon dîner de viandes savoureuses.


25 Octobre,

Enfin ! c’est aujourd’hui notre dernière journée. Encore une trentaine de kilomètres, une dizaine d’heures de tangage sur le des de nos montures, de soleil cuisant et d’aveuglante réverbération sur le plateau gris, et nous serons à Ghardaïa, où l’aimable hospitalité du colonel Didier nous réconfortera.

Au lever de l’aube, nous traversons de nouveau l’oasis de Metlili, nous allons voir le khalifa qui veut nous recevoir après le caïd ; et nous le trouvons dans son jardin, à l’ombre des palmiers bruissans, qui nous attend accroupi avec quelques amis sur de riches tapis. Son accueil est aimable et empressé, et nous lui faisons témoigner par Abdallah tout notre plaisir. Le café pris et les solennels adieux arabes échangés, le khalifa nous force à accepter deux magnifiques régimes de dattes. Mais où les mettre ? Abdallah n’est point embarrassé ; il retire prestement sa large culotte et y installe les régimes, un dans chaque jambe. Je crois qu’il n’a jamais compris pourquoi je lui en ai fait cadeau.

Toute la journée, la lourde journée d’été tardif, nous cheminons sur l’interminable chebka. Plus nous montons vers le Nord, plus elle devient unie et monotone ; les petits vallons ont disparu, les genêts bleus ne poussent plus sur ce solde roc dur. C’est la désolation, l’infinie désolation des roches primitives, des terres mortes.

Mais le plateau s’arrête net ; une large vallée est devant nous. C’est la vallée de l’Oued-Mzab. Voici l’oasis verdoyante de Beni-Isguen, le bruit enchanteur de l’eau qu’on tire des puits, des bêtes, des hommes, du mouvement, des maisons éparses sur le sable, et les quatre villes, Béni-Isguen, Mellika, Ghardaïa et ses deux tours, et en haut Bou-Noura, l’étincelante, qui étincelle en effet aux derniers rayons du soleil, toute rougissante au-dessus de l’ombre qui envahit la vallée.


A Ghardaïa, où le colonel Didier s’ingénie à nous faire oublier nos fatigues, une mauvaise nouvelle nous attend. Les troubles de Mélilla et la guerre entre l’Espagne et les Riffains ont, par crainte de complications possibles dans le Sahara, arrêté l’expédition du