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Pour comble de malheur, Messaoud est décidément malade ; il se roule à terre en poussant de pitoyables hennissemens. Près de lui, Abdallah se désespère, lève les bras au ciel, mêle les jurons français aux malédictions arabes, presque comique dans sa grande douleur. Enfin on remet sur pied le pauvre animal, qui se traîne comme égaré à notre suite.


Un cadavre d’oiseau, un petit corps tout raidi, les yeux grands ouverts sur le ciel qu’ils ne voient plus. C’est une hirondelle, blanche et bleue, tombée sans doute ici d’épuisement, sans pouvoir atteindre les rivages de l’infinie mer des sables. Mais que venait-elle chercher dans ce pays de mort ? Serait-elle vraie, la légende arabe qui raconte que les hirondelles, se sentant vieillir, vont mourir au désert, pour dormir leur éternité de bêtes sous un ciel toujours bleu ? Un grand poète l’a cru :


C’est là que vont à tire d’ailes.
Dès qu’elles sentent leur moment,
Mourir les libres hirondelles,
Coursières de bleu firmament.

Dans leur course à travers le monde
Elles ont choisi ce tombeau,
Bien plus beau que la mer profonde,
Si beau que le ciel est moins beau.

On les trouve l’aile fermée,
La nuit de la mort dans les yeux,
Et parfois la plaine est semée
De leurs doux cadavres soyeux.

C’est là que vont à tire d’ailes
Dès qu’elles sentent leur moment,
Mourir les libres hirondelles,
Coursières du bleu firmament.


Toute la matinée nous cheminons, nous cheminons dans les sables éblouissans. De temps à autre, un grandiose panorama se découvre. C’est toujours jusqu’à l’horizon le moutonnement des fines poussières. La chaleur est plus forte aujourd’hui, le ciel plus étincelant ; tout le désert rayonne et tremble, et l’air lui-même, doré par le soleil et par la réverbération, semble tout d’or, comme une atmosphère d’or fluide.

Parfois les dunes s’interrompent ; des falaises de roc dur, d’un brun sombre, plongent dans les flots poudreux qui les assiègent. Ces roches sont les promontoires avancés de la chebka du