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des glissemens, des chutes dans les fragiles montagnes qui croulent. Au terme de l’ascension, le tableau est saisissant. Imaginez un indescriptible chaos, des pics, des arêtes, des croupes arrondies, des croupes allongées ou recourbées en croissant ; des ondulations sans fin qui semblent courir l’une derrière l’autre, comme soulevées par une formidable houle ; et tout cela immobile, figé, muet, noyé de lumière, baigné de chaleur, allumé et flambant, fumant de poussières d’or.

Silencieux nous songeons sur la cime solitaire. Nous avons devant nous le spectacle même de la formation du Sahara durant des millénaires sans nombre ; des époques géologiques défilent sous nos yeux. Nous voyons le vent balayer les plateaux qu’il ronge sans relâche, entraîner la poudre impalpable et la déposer dans les dépressions, où elle s’amasse en montagnes de débris. C’est une lente désagrégation, commencée aux premiers jours du monde, qui a créé ce pays informe, dont il ne reste plus que le squelette de roches dures, destinées elles aussi à entrer dans le cycle de l’universelle destruction. Et, hallucinés dans le flamboiement de l’atmosphère, nous croyons entendre le lent travail de ruine, le sourd émiettement de la terre qui se décompose.


VII

Par grand vent, nous quittons El-Goléa, la nuit déjà noire. La caravane est partie en avant, et il fait bon trotter, pour la rejoindre, à l’amble allongé des chameaux, sur le sable fin, au pied des dunes, dont la lune naissante fait un océan aux formidables ondulations frangées d’écume d’argent.

Après la brûlante journée, la nuit, que des rafales balayent, est glaciale ; la terre rayonne vers les espaces limpides, constellés d’étoiles ; le vent soulève des tourbillons de poussière, qui paraissent, sous la pâle lumière du ciel, des brumes blanchâtres, des brouillards humides de nos nuits d’automne.

Trois heures durant, nous remontons la vallée de l’Oued-Messeguen, qui semble s’allonger avec notre marche ; et c’est en pleine nuit seulement que nous apercevons les flammes claires de notre campement et les ombres dansantes de nos hommes et de nos bêtes.

Dans notre tente bien fermée, nous restons longtemps silencieux et songeurs : une tristesse nous étreint, la tristesse des retours,