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petit lac, alimenté par des eaux artésiennes, une petite mare de limpidité et de fraîcheur, étrange, inattendue ici, sous son revêtement d’herbes aquatiques et de nénuphars aux fleurs d’or, larges comme des soleils ; — c’est El-Goléa, le point extrême de l’occupation française, la dernière ville du Sahara, à 1 000 kilomètres d’Alger, à 3 000 kilomètres du mystérieux Soudan.

Dans ce triste pays, il est un coin de paradis : le bureau arabe. Jamais voyageurs, le corps épuisé par les marches forcées, l’esprit malade de l’incessante contemplation des horizons pareils, ne trouvèrent un accueil plus cordial, une hospitalité plus empressée, des attentions plus délicates. Quel bon souvenir nous garderons de nos trois étapes du désert, Ghardaïa, Ouargla, El-Goléa ! Le capitaine Godron, qui administre un territoire grand comme un royaume, est un vieil Africain ; tout en espérant la problématique expédition du Touât, dont l’attente fait battre son cœur de soldat, il se consacre à l’amélioration du pays, et il a créé, au milieu des sables inféconds, une pépinière dont les produits transformeront peut-être un jour ces lieux maudits. Heureux exemple d’un militaire pour qui la civilisation est autre chose que la multiplication des uniformes !

On nous installe dans le bureau arabe, en une fraîche casemate ; des attentions multipliées suppléent à l’absence de confortable. Ce sera là notre home pour trois jours ; nous y ferons la sieste et nous y passerons les nuits, trop fraîches maintenant pour permettre de coucher sur les terrasses.

Autour de la table presque somptueuse, que couronne un cochon de lait doré et rissolé, un des élèves du capitaine, nous causons de la situation actuelle du Sahara. Décidément la chance nous abandonne. Il nous faut renoncer à la pointe que nous projetions sur le Hassi-Inifel ; des bandes de pillards écument le désert ; ces jours derniers, aux confins du Gourara, entre des voleurs de chameaux et une fraction du goum d’El-Goléa, un combat a eu lieu qui a coûté la vie à plusieurs de nos fidèles. Aussi avec quelle impatience les officiers d’ici, exaspérés par les pilleries et les provocations incessantes des gens de Bou-Amama et des Châambas dissidens, attendent-ils la fameuse expédition, annoncée pour cette année, contre le repaire, jusqu’ici inaccessible, des brigands sahariens ! Leur désir de voir la France vengée est si ardent qu’ils modèlent la réalité sur leurs espérances et que vainement je m’efforce de les convaincre que vraisemblablement l’expédition