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Le matin, le désert s’éveille, déjà rigide et sévère. Des brumes humides ne tissent point des voiles impalpables au-dessus de la terre et n’estompent pas des horizons adoucis ; pas de fils d’argent tendus entre des plantes assouplies par la fraîcheur de la nuit ; pas de fines gouttelettes irisées des jeux de la lumière. La nature ne tressaille pas, n’ouvre pas lentement les yeux en s’étirant ; le charme alangui du proche sommeil n’amollit pas ses traits durs, ses lignes nettes. Rien ne se détend, rien ne vibre, rien ne palpite dans ce corps de pierre. Le désert s’éveille comme il s’est endormi, immobile et immuable, dans l’absolue transparence de l’air et la rigidité de ses formes durement dessinées. Le soleil à peine levé est brûlant, le ciel rayonne, la terre reluit, l’air étincelle, toute la nature brûle dans un flamboiement silencieux.

Midi, c’est l’heure de la fête somptueuse du soleil. Le sultan nomade du ciel contemple du haut l’empire doré et riant de la mort que lui-même a créée. Il rayonne, auréolé comme un dieu, éclatant et superbe dans sa majesté solitaire, farouche, jaloux de sa puissance, brûlant les yeux qui voudraient le fixer, faisant fuir les animaux, desséchant les plantes, jaunissant le ciel et la terre, et revêtant tout de cette teinte dorée, qui est la couleur de sa livrée royale. Lui seul vit dans la nature sans mouvement, lui seul anime le cadavre. Ses rayons verticaux tombent eu pluie de feu, à travers laquelle on voit danser des flammes comme au fond d’une gigantesque fournaise.

Alors, dans l’après-midi qui s’avance, les mirages se lèvent. Tout tremble autour de la caravane. L’air frissonne, la terre travaille, et au loin, devant l’œil halluciné, s’allongent de solitaires étangs.

Cependant le soleil descend. Dans l’atmosphère sèche, son globe dessine une circonférence précise. On dirait un gros ballon de cuivre, qui tomberait là-bas, derrière l’horizon, dans un grand trou vide, à côté de la terre.

Et puis, la nuit s’abat brusquement, bleue et transparente. Le silence devient plus solennel sous les étoiles immobiles ; et, sans un mouvement, le désert s’endort.


16 Octobre.

Ce matin, au réveil, un chameau a disparu. Le fait est rare ; en général nos bêtes ne s’écartent pas du camp et il est inutile de