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12 Octobre.

Au petit jour, le cri d’une sentinelle nous réveille, et en un instant nous sommes sur pied. Ce sont deux cavaliers du maghzen d’El-Goléa, vêtus de noir, qui arrivent du Sud, montés à meharas. On leur offre le café pour les faire causer et ils nous renseignent sur l’état du désert. On a lancé le goum d’El-Goléa à la poursuite des pillards pour leur reprendre les chameaux qu’ils ont razziés, et il paraît qu’il y a eu, du côté de Tabelkosa, dans le Gourara, un combat sanglant. Décidément le désert n’est pas sûr cette année. Mais il nous suffira de quelques précautions.

Journée monotone, à se traîner, dans la chaleur qui tombe du ciel et monte de la terre, sur la hammada pierreuse. Le plateau est maintenant tout à fait plat, nu et désolé ; les rares chardons qui le parsemaient hier sont devenus plus rares encore ; c’est maintenant un immense champ de cailloux arrondi jusqu’au cercle précis de l’horizon, qui semble immuable.

Encore une fois Chayb, Adda et deux hommes ont profité de ce que j’étais en tête de la caravane avec le guide pour se séparer de nous : ils ont, me dit Abdallah, aperçu une espèce de cochon, que je présume être un pécari, et ils lui donnent la chasse. Cette fois, quand ils reviennent, la colère m’emporte et je menace Chayb de mon bâton. Le fier Saharien, fils de grand seigneur, me jette un regard de haine ; mais, depuis, tout le monde obéit.

Vers midi, une surprise : un arbre ! C’est le premier que nous ayons vu depuis Ouargla et ce sera le dernier jusqu’à El-Goléa. Un arbuste malingre, un être chétif de solitude et d’abandon, rôti par le soleil, déjeté par le vent, rongé par les insectes ; il y a cependant à son ombre place pour deux personnes, et c’est là que nous déjeunons au milieu de la vie infime qui grouille dans cette ombre inattendue. Sur les branches, il y a un nid abandonné depuis des années. Quel oiseau a pu venir nicher ici, dans ces espaces perdus, à travers ces cieux désertés de tous les volatiles ?

Nos gens ont capturé deux lézards d’une espèce que je ne connais point, superbes dans leur robe fauve mouchetée de dessins d’argent, et touchans avec leurs yeux si profonds, si inquiets de créatures faibles. Sous mes doigts, je sens palpiter leur cœur. Peut-être, enfans des vastes solitudes, ils ne connaissent pas les