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V


9 Octobre.

Au clair matin, entre les fossés où sous les herbes croupissent des eaux mortes, et le rideau frémissant des dattiers, notre caravane s’organise dans un bruyant tumulte. Nous partons. De nombreux Ouarglis, incorrigibles flâneurs, sont sortis pour nous voir, et des enfans nous suivent quelque temps, tandis que, en haut, sur les murs, debout et immobiles en des poses de statues, les femmes vêtues de bleu regardent s’éloigner la caravane.

A peine sortis de l’oasis, hors de l’oppression des voûtes feuillues, nous sommes en plein désert. Autour de nous s’étale la surface plate du chott, le fond de l’ancien lac desséché, où les rivages successifs ont laissé de larges traînées de sel. Quelques plantes ont poussé sur ce sol, dont les veines renferment de l’eau cachée ; des troupeaux de moutons broutent ces herbes sèches et de loin semblent des taches mobiles, comme des mares qui se déplaceraient. Mais ces prairies n’ont pas le charme des nôtres ; le sable parait partout et elles sont privées de la parure des fleurs, des marguerites et des boutons d’or.

Le sol est dur et bon pour la marche, et pourtant on n’avance pas. A chaque instant, il faut s’arrêter, faire agenouiller un chameau qui pleure, consolider une charge mal assujettie, opérer d’interminables transbordemens. La troupe s’égrène de plus en plus, mettant quelques ombres mouvantes sur la plaine ensoleillée.

En passant, nous réveillons des lézards verts, qui dormaient sous les herbes et qui traversent la piste en un scintillement d’éclair. Sous les pierres il y a aussi des cigales, qui chantent la splendeur des étés du Sud.


Nous avons maintenant une troupe nombreuse ; seize hommes et trente-trois chameaux. Au guide, à Abdallah et aux quatre Sokhrars se sont joints dix soldats du maghzen d’Ouargla, armés sur toutes les coutures. Tous ont des têtes de bandits et plusieurs, en effet, ont été voleurs de grand chemin avant d’être soldats ; au Sahara c’est presque le même métier. Pour notre sauvegarde, comme otages en quelque sorte, et sous couleur de compléter leur éducation par un instructif voyage, on leur a donné pour