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quelques soldats et un marchand, il n’y a ici que des indigènes. Les Arabes eux-mêmes craignent cette ville empestée et, durant les mois d’été, ils la fuient pour s’établir dans les ksour des environs, à Ba-Mendil et à Rouissat.

Impossible de rien faire pendant ces terribles journées ; il faut renoncer même à dormir. Enfermés dans le petit logement que M. Boucherie nous a gracieusement prêté, les fenêtres closes et tendues de nattes, nous somnolons épuisés, languissans, absorbant d’invraisemblables quantités d’eau. Des milliers de mouches bourdonnent autour de nous, berçant notre insomnie de leur musique chantante, seul bruit, à l’heure accablante, de la nature assoupie.

Le soir seulement on peut sortir. On se traîne alors dans le jardin du bureau arabe et, le soleil couché, on dîne sur la terrasse, en face des horizons sublimes que recouvre peu à peu le manteau bleu de la nuit.


7 Octobre.

Visite, au crépuscule, des plantations de tamaris faites pour fixer les dunes. Il y a là des hectares plantés du petit arbuste au pâle feuillage. Il n’était que temps : des jardins avaient déjà été détruits, et des troncs de palmiers à demi enterrés restaient seuls des cultures d’autrefois. Aujourd’hui les sables sont arrêtés. Longtemps je les contemple. On se rend compte qu’on est ici sur la limite de la civilisation. Derrière nous, d’incomparables jardins, en face les sables destructeurs, entre les deux, le champ de bataille de l’homme et de l’océan poudreux et où l’homme semble avoir définitivement vaincu. Dans la demi-obscurité, les rangées de tamaris apparaissent à l’imagination hallucinée comme des rangs de soldats, toute une armée en ligne pour la conquête du désert.


Très célèbre jadis, très puissante fut Ouargla, dont on disait que, si elle ne faisait pas les sultans, elle les défaisait. Aujourd’hui la ville est singulièrement déchue. Elle meurt, silencieuse, devant un incomparable décor. Un million de dattiers lui font un berceau de verdure où le bruissement du vent dans les palmes se mêle à la chanson des ruisseaux, issus de trois cents puits. Entre ses murailles à demi effondrées, entourée d’eaux mortes, Ouargla agonise, accablée de chaleur et de fièvre. Au-dessus du marché