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Au Grand Prix de Paris, où le total des entrées dépassait l’an dernier 340 000 francs, représentés, au pesage, par 8 000 hommes et 4 700 dames, 3 600 personnes au pavillon et, à la pelouse, 93 000 piétons, 1 100 voitures et un cavalier ; lorsque les diverses enceintes renferment ainsi, en tenant compte des cartes de faveur et des employés de toutes sortes, près de 140 000 âmes, tous les moyens de locomotion, par terre ou par eau, sont utilisés. Tous les véhicules imaginables se frôlent et se pressent, dans un grouillement de roues, depuis les calèches aux attelages de 15 000 francs jusqu’à la carriole du laitier de banlieue. C’est jour de liesse pour les « Paulines, » ces tumultueuses pataches, qui, volontiers insolentes, parce qu’elles conduisent à ses plaisirs la Majesté anonyme de la Multitude, prétendent forcer les autres voitures à se garer devant elles. Elles cueillent et promènent à travers la ville des cliens aux faces sérieuses, têtes de joueurs qui vont à une affaire ; les uns attentifs dans le vide aux rêves qu’ils caressent, les autres l’œil fiché en terre, ardent ou ennuyé.

Que d’inquiétudes, de passions diverses, habitent les cerveaux de cette fourmilière humaine, couverte de chiffons luxueux ou de haillons décens ! Toutes les classes sociales s’y coudoient sans s’y confondre ; l’éducation, l’intelligence ou la fortune, continuant de nuancer des sentimens, pareils à peu près dans le fond quoique divers dans l’apparence. Comme à tous les divertissemens de notre espèce, sans cesse béante après les choses futures, il se mêle ici, à une pincée de joie, beaucoup de déceptions et de rancœurs : amour du gain ou satisfaction de vanité, recherche des émotions ou besoin de tuer le temps, exercice d’un métier ou ébauche d’un flirt, conduisent toute cette assemblée à encourager, sans beaucoup le savoir, l’amélioration de la race chevaline. Les moins nombreux sont les « amateurs, » les « pas-sérieux, » venus pour faire quelque rien qui vaille, prendre l’air, jouir du paysage et regarder la course, sans espoir d’en tirer des rentes. Ce sont aussi les plus sages, puisqu’ils savent se saisir des biens présens.

Le pesage fut longtemps un endroit si vertueux que les dames non accompagnées n’y avaient nul accès ; cette rigueur a pris fin et le monde de la haute galanterie, aujourd’hui largement représenté, charme les alentours des tribunes par ses toilettes d’une élégance simple et de bon goût. Rien ne distingue celles qui en font partie des femmes de la société ; les hommes s’abstiennent