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entre le trot et le galop, qui divise actuellement les éleveurs d’animaux de demi-sang.

Et d’abord qu’est-ce qu’un cheval de « demi-sang ? » Tout le monde croit le savoir, et je le croyais aussi, avant de m’en être informé. Mais j’ai dû reconnaître, après examen, que je l’ignorais et que tout le monde l’ignore. J’entends que nul ne parvient à en donner une définition tout à fait exacte. Celles qui émanent des sociétés hippiques les plus compétentes ont changé plusieurs fois, et la dernière en date — elle remonte à quelques mois seulement — n’est pas, au dire de ses auteurs mêmes, à l’abri de toute critique. Hâtons-nous d’ajouter que ces efforts de rédaction, en vue de « qualifier » officiellement les produits du croisement de nos races indigènes avec la race supérieure, sont d’un intérêt pratique fort restreint pour l’ensemble des agriculteurs. Ceux-ci livrent annuellement, aux étalons de pur et de demi-sang, entretenus par l’État ou estampillés par lui, environ 170 000 poulinières qui continuent et propagent à leur tour, dans nos campagnes, une espèce graduellement améliorée. Ils s’attachent à obtenir, qui le cheval de guerre, qui l’animal de commerce ou de luxe, sans prétendre former ces trotteurs hors ligne qui dévorent le kilomètre en moins d’une minute et demie.

Mais depuis qu’une association spéciale a organisé des courses, réservées aux « chevaux français de demi-sang, » afin d’encourager une sélection parmi eux, la malignité humaine dont les éleveurs, non plus que les autres mortels, ne sauraient se défendre, sollicite quelques-uns d’entre eux à faire passer pour métis des quadrupèdes du sang le plus authentique. Lorsqu’on dénomme » purs-sang » les fils de père et mère inscrits au Stud-Book, on écarte par là même de ce livre auguste les sujets qui n’auraient pas un état civil régulier. Mais il suffit justement aux fraudeurs de ne point revendiquer cet état civil, pour dissimuler l’origine de poulains auxquels leur naissance cachée permet d’être admis parmi les vrais demi-sang et de les battre par leur mérite réel.

Divers procédés sont en usage pour déguiser ces bâtards légitimes : substitutions sous la mère, changemens de « cartes » ou fausses saillies. Des familles de purs-sang, volontairement déclassées en Angleterre, fournissaient les recrues. Le propriétaire d’une jument, dont l’ascendance fut reconnue sans alliage, sévit obligé, à la suite d’un procès, de restituer 80 000 francs de prix qu’il avait gagnés. Comme l’identité de femelles inconnues ne