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Les engagemens onéreux et inutiles, les voyages, la « casse » des yearlings au cours du travail préparatoire, font, avec l’entretien normal, monter à 6 000 francs le coût d’un animal à l’entrainement. Le budget global des propriétaires se serait donc élevé à 12 millions de francs, en 1898, pour 2 000 chevaux de plat auxquels ont été répartis 6 millions de prix. Il se trouverait donc en perte de 6 millions, s’il n’avait, pour atténuer ce déficit et le réduire à 2 000 000 ou 2 300 000 francs environ, le produit des saillies et des ventes. Chapitre si important que, sans lui, certaines écuries ne pourraient subsister ; la valeur des bêtes aliénées y étant souvent double de celle des prix remportés en course.

Le cheval le plus cher dont les annales du turf ait gardé le souvenir fut Ormonde, cédé vers 1892 par le duc de Westminster pour 750 000 francs. Ce coursier mémorable, avant de quitter le sol britannique pour les États-Unis, eut l’honneur d’être présenté à la Reine à Windsor. Nous voilà loin du chiffre, — en son temps fort copieux, — de 180 000 francs payés pour Gladiateur. Blair-Athol, dans des enchères où l’agent du gouvernement prussien le poussa jusqu’à 287 000 francs, fut adjugé 300 000. Plus récemment, l’Allemagne achetait l’étalon français Gouverneur pour 250 000 francs, et le prix de 150 000 francs, payé cette année pour Rueil par notre administration des Haras, semble presque ordinaire.

La rareté des bonnes jumens, qui se cotent aussi très haut et qui, comme les tableaux de maître, ne se trouvent pas aisément sur le marché, fait que nombre de propriétaires se remontent chaque année aux ventes de yearlings, qui ont atteint 1 500 000 fr. en 1898. Mais bien des sujets ne se révèlent qu’assez tard ; l’illustre Eclipse fut vendu à deux ans par le duc de Cumberland, chez lequel il était né, parce qu’il n’annonçait aucune qualité remarquable. L’espèce chevaline a son âge ingrat ; la bête mesquine et disgraciée, qui va fleurir, peut se transformer en un cheval brillant et vivace ; et il est aussi malaisé de reconnaître les futurs vainqueurs, parmi des poulains de quatorze mois, que de discerner les jolies femmes de l’avenir parmi des fillettes de huit ans. C’est ce qui engage les principales écuries à former leurs propres haras, quitte à en renouveler le sang lorsqu’elles n’obtiennent que des produits médiocres.

L’élevage en effet a ses surprises, bonnes et mauvaises ; c’est une alchimie d’un nouveau genre. On ne saura jamais sans doute