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de la sorte, chacun sera satisfait dans le meilleur des mondes socialistes possible. Vos argumens ne portent donc pas contre moi, mais seulement contre quelques vieilles filles scandinaves, parce qu’elles ont exagéré jusqu’au ridicule les tendances émancipatrices qui trouvent leur base solide dans la réalité économique, ce point d’appui de notre pensée d’avenir. <i Aujourd’hui, dit en effet un autre écrivain socialiste, Mme Anna Schapire[1], les femmes trouvent deux voies ouvertes devant elles : ou bien elles deviennent seulement épouses et mères, et s’absorbent tout entières dans la vie de famille ; ou bien elles doivent étouffer la voix de la nature, et se contenter d’une existence purement sociale. Le premier et le plus important devoir de l’émancipation féminine, c’est d’unir ces deux facteurs... pour atteindre à l’harmonie, au plus haut développement de la personnalité. »

Mme Marholm accepterait peut-être ces objections. Nul ici-bas n’a si complètement raison que ses adversaires aient tout à fait tort. Elle-même laisse échapper quelques contradictions, comme nous l’avons constaté, et semble parfois penser avec Renan qu’on ne saurait exprimer toute la vérité, si l’on ne soutient à l’occasion le pour et le contre.

Par cette concession facile faite à propos à ses contradicteurs, elle mériterait la gloire la plus enviable : celle d’opérer elle-même la synthèse que nous proclamions nécessaire au début de cette étude : d’avoir heureusement combiné, dans ses créations comme dans ses enseignemens, la culture intellectuelle des modernes émancipées, à la simplicité d’âme de nos paisibles aïeules, et, en rendant à l’instinct du choix, comme à l’instinct maternel, la place éminente qui leur convient, d’avoir préparé l’avènement de la femme selon son cœur, de celle qui, mère avant tout, mais mère éclairée et égale à sa tâche, ne sera rien de plus et rien de moins que la « constructrice » des générations à venir.


ERNEST SEILLIÈRE.

  1. Neue Zeit, t. XVI, p. 43.