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après des années de culture intellectuelle et d’activité utile, elle rencontre à temps un bon mari. Celui-ci sera de préférence vigoureux, blond, sportsman et agriculteur, car tel est l’aspect du béros ordinaire des romans de notre auteur. — Si, au contraire, l’époux à souhait ne se montre pas, ou se montre trop tard, ou si la femme porte en elle-même un germe malsain, elle deviendra une « détraquée. » Ce sera, si l’on veut Sonia Kowalewska, qui inspire à Mme Marholm tant d’admiration pour ses dons exceptionnels, et tant de pitié pour sa destinée manquée.

Or, par cette conception du destin désirable pour la femme, il est évident que Mme Marholm fournit des armes contre elle-même. C’est, au surplus, l’écueil de tous les systèmes trop tranchans que de retomber dans les erremens qu’ils prétendaient réformer. — Si nous avions l’honneur de tenir un poste de combat dans les rangs de l’armée féministe, bien loin de charger d’anathèmes Mme Marholm, de nous détourner pudiquement de son œuvre, de lui reprocher d’avoir élevé un autel à la sensualité, et de lui lancer enfin cent invectives analogues, nous lui tiendrions simplement ce langage. — Les jeunes filles, qui ont la bonne fortune de se marier heureusement vers leur dix-septième année sont en dehors de notre sphère d’action. Nous envions leur destin, mais nous ne nous en préoccupons pas davantage, car le mouvement que nous avons créé a précisément pour but de venir en aide à celles qui sont exclues du mariage, ou qui n’y ont pas trouvé le bonheur. Quant à votre héroïne préférée, qui, vers trente ans, renonce à vivre pour les lettres, et se dévoue tout entière aux devoirs de la famille, qu’est-elle autre chose, dans vos propres œuvres, qu’une féministe, qui s’est armée pour se passer du concours de l’homme, qui doit précisément à cette indépendance de pouvoir attendre l’élu de son cœur, et qui puise certainement dans sa supériorité intellectuelle une partie des attraits qui assurent son triomphe final ? Notre vœu le plus cher, c’est donc que toutes les femmes viennent se ranger dans une des deux catégories dont vous approuvez la destinée.

M. Bebel, avec l’optimisme intrépide qui le distingue, en sa qualité d’héritier des grands utopistes du passé, ajouterait sans doute : Vous réservez votre approbation entière à quelques privilégiées. Nous voulons que toutes les femmes leur ressemblent par la science, l’expérience et le cœur, et cela dès leur. dix-septième année, grâce à l’organisation merveilleuse de notre société future ;