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amplement justifié d’ailleurs par l’intérêt de ces pages, par la vivacité du style spirituel et provocant, par la hardiesse avec laquelle l’auteur ouvrait le feu contre les positions, affaiblies déjà, de ses ennemis, les femmes émancipées du Nord, dont l’exemple lui paraissait avoir suscité en Allemagne des imitations funestes.

On peut se demander cependant si elle a bien réalisé les promesses de son avant-propos. « Je n’ai pas voulu, y disait-elle, apporter ici une contribution à l’étude de la vie intellectuelle chez la femme. Je me préoccupe peu de ce qui a donné la célébrité aux six noms que l’on va lire. Ce que je cherche et voudrais déterminer dans ces six personnalités contemporaines, ce sont les manifestations de leur sensibilité de femme, qui se fait jour à travers tous les obstacles, à travers les théories artificielles sur lesquelles elles ont bâti leur vie, à travers les idées dont elles furent les champions, à travers leurs succès mêmes, qui leur forgèrent des chaînes si lourdes. Toutes furent malades de ce désaccord intérieur qui est né avec la question de la femme, désaccord entre leur intelligence dévoyée et la base obscure de leur nature féminine. Quelques-unes en moururent. »

Ce programme a-t-il été rempli ? C’est ce qu’on a nié d’ordinaire, et il faut avouer qu’on saurait difficilement le prétendre. Nous pensons qu’un seul de ces portraits, celui qu’elle a habilement réservé pour la fin du volume, répond tout à fait à ses promesses et semble avoir été créé pour illustrer ses théories par un exemple éclatant. Pour les autres, ils sont si attrayans, si originaux par la pose choisie et par le fini des détails, qu’on ne songe guère à se plaindre de l’artiste qui captive à ce point. Tout au plus se sent-on mis légèrement en défiance contre des conclusions trop tranchantes, et peu disposé à maudire les ambitions de la femme moderne à l’unisson d’une voix qui serait si digne de les appuyer.

Trois des noms qui figurent dans le Livre des Femmes, ceux de Mmes Skram, Edgren-Leffier, Égerton, sont à peu près inconnus parmi nous. La dernière, esprit de la même famille que Mme Marholm, convaincue comme elle de la passivité foncière de la femme et de sa mission surtout maternelle, commence à prendre dans la littérature anglaise une place considérable. Les trois autres héroïnes, Mmes Baschkirtcheff, Duse et Kowalewska, ont vu leur renommée consacrée par le suffrage de la France, et c’est