Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/795

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au bout d’un bâton, fut promenée dans la ville. Après quoi les insurgés avaient incendié l’édifice communal, une quarantaine des plus beaux immeubles, pillé des habitations, violé des femmes et pendu des prêtres.

Un cri d’horreur accueillit ces nouvelles, que le gouvernement dissimulait. Presque en même temps, on apprenait que le général Contreras venait de quitter Madrid, se rendant à Carthagène pour y prendre le commandement de l’insurrection. Là aussi la ville se trouvait au pouvoir des émeutiers ; la flotte de guerre s’était associée aux rebelles ; la bourgeoisie quittait en masse ce grand port qui allait devenir le boulevard du cantonalisme. Or Contreras, en partant, y avait mis peu de mystère, et l’on jugeait que M. Pi y Margall aurait pu l’arrêter. L’opinion se soulevait contre ce dictateur qui prononçait de beaux discours sur la légalité et n’osait cependant toucher aux misérables par qui l’Espagne se mourait. Une interpellation lui ayant été adressée, aux Cortès, sur les événemens de Carthagène, on entendit un de ses ministres déclarer que « pour sa part, il ne ferait jamais tirer sur ses frères et amis en révolte. » La mesure était comble. M. Pi y Margall perdait pied, même au sein de l’assemblée où sa majorité tombait en morceaux. Un irrésistible courant d’opinion s’y manifestait en faveur d’une action énergique. Castelar et Salmeron conduisaient le mouvement. M. Pi y Margall n’avait qu’à se retirer. Il le comprit, et quelques jours après, le 18 juillet, envoya sa démission aux Cortès. Sa désastreuse présidence avait duré cinq semaines. Jamais l’Espagne n’était tombée si bas.

Il eut pour successeur M. Nicolas Salmeron. C’était, hélas ! un théoricien qui en remplaçait un autre. M. Salmeron avait lui aussi la réputation d’être un fort honnête homme et un profond penseur ; mais lui aussi il avait vécu dans les abstractions de l’école ; lui aussi il était de ceux qui apprennent la politique dans les livres ; il eût sans doute fort bien gouverné la république de Salente. Rendons-lui pourtant cette justice qu’il comprenait la situation ; il se montrait impatient d’en finir avec l’anarchie. Ses premières paroles et, ce qui valait mieux, ses premiers actes, attestèrent le ferme propos de répudier le système de capitulations et de compromissions inavouables. Le lendemain de son élection, il disait aux Cortès : « Il faut rétablir l’empire de la loi. Il faut faire savoir à tous que quiconque se révolte contre la loi doit recevoir l’inexorable châtiment de son crime... » C’étaient