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M. Romero Robledo ; «véritables députés du miracle, » me disait Castelar, arrivés là, on ne savait trop comment, et perdus dans cette foule, rari nantes... Le reste étaient des gens parfaitement inconnus. L’un d’eux, M. Pedregal, étant devenu ministre, des plaisans s’avisèrent de placarder des affiches où on lisait en lettres énormes : Quien es Pedregal ? « Qu’est-ce que Pedregal ? » Tout Madrid s’en amusa durant plusieurs jours. Le fait est que les nouveaux élus appartenaient pour les trois quarts à ce personnel indéfinissable qui fait métier de représenter dans les assemblées électives ce qu’on a dénommé chez nous les nouvelles couches, et qu’on appelait en Espagne el cuarto Estado. Avocats sans causes, médecins sans malades, orateurs de cafés, politiciens de réunions publiques, visionnaires et bateleurs, tous les aventuriers, tous les cabotins frottés de socialisme qui, dans les temps de révolution sortent d’entre les pavés, semblaient s’être donné rendez-vous aux Cortès. Cela formait une assemblée grouillante, impressionniste et fantaisiste, dont la physionomie très suggestive faisait ressembler un peu trop cette auguste Constituante à un club.

Ces Cortès plus qu’étranges se réunirent à Madrid, le 1er juin, sous la présidence du vieil Orense, le doyen des révolutionnaires espagnols, qui allait terminer sa carrière en se faisant le patriarche du cantonalisme. La première séance fut entourée de quelque pompe. Après que Figueras eut donné lecture d’un message que Castelar avait rédigé, l’assemblée sortit de l’intérieur du palais législatif pour présider à un défilé solennel des troupes de la garnison. Le spectacle, hélas ! fut navrant. Soldats et « volontaires de la liberté » passaient devant les Cortès, sous les yeux du corps diplomatique, en vociférant : Vive la Fédérale ! Vive la République rouge ! Castelar, comme ministre des Affaires étrangères et comme patriote, souffrait à en pleurer de ces scènes dégradantes, exacte image de l’anarchie où l’Espagne sombrait. Ces troupes, qui défilaient devant les pouvoirs publics en hurlant des clameurs d’émeute, c’était l’armée de l’insurrection qui passait sa propre revue.

Ici s’ouvre une période de deux mois, une des plus affreuses que l’histoire de notre temps ait à retracer. Et ne dites pas, lecteur : « Ce sont choses d’Espagne ! Que nous importe, à nous Français d’aujourd’hui, ce passé mort, si étranger et si lointain ? » Il nous touche, au contraire, et de près. Sur ce théâtre d’au-delà