Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/782

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

économiques et sociales, ont toujours été des écoles distinctes[1]… » Et, quelques mois après, dans cette nuit dramatique et suprême du 2 janvier 1874 où, sentant crouler sous ses pieds son éphémère dictature et avec elle la République elle-même, il fit devant les Cortès l’admirable examen de conscience de sa vie politique, il s’écriait, et de quel accent ! « Où donc étais-je, à vingt et un ans, quand la guerre éclata entre la Discusion (le journal de Rivero) et la Soberania nacional (le journal de M. Pi y Margall) ? J’étais avec la plus modérée de ces deux feuilles, avec la Discusion. Et plus tard, lorsque survint la lutte qui nous sépare encore, tandis qu’une partie des républicains tenait pour l’utopie socialiste, laquelle promettait je ne sais quel paradis terrestre qu’ils ont été d’ailleurs bien incapables de procurer, j’étais, moi, avec les partisans de la libre initiative de l’individu… » Son tort avait été, répudiant la doctrine, de ne pas répudier l’alliance de l’homme dangereux qui la personnifiait. Deux années avant, dans son discours de la benevolericia, lorsqu’il disait : « Pour moi, je ne saurais prêter un appui sans réserve à un ministère que ne dirigeraient pas MM. Pi y Margall, Orense et Figueras, » il justifiait toutes les craintes des esprits éclairés. Etrange aveuglement, qui l’empêchait de voir, ce qui sautait aux yeux, qu’un régime où gouvernerait M. Pi y Margall était par avance un régime perdu !

Son erreur ne fut pas moins grande lorsque, quelques mois après le discours de la benevolencia, il prit la parole en faveur de l’Internationale. Cette redoutable affiliation avait jeté ses racines en Espagne après la révolution de septembre, et avait fait en trois années des progrès inquiétans. Le gouvernement du roi Amédée ayant voulu enrayer ses progrès par quelques mesures d’ordre public, Castelar se constitua le champion de l’Internationale. Il réclama pour elle la liberté de poursuivre sa propagande, invoquant, comme toujours, les fameux « droits individuels. » Et, à cette occasion, il prononça dans les Cortès une série de discours, desquels je ne sais ce qu’il faut admirer davantage, l’inspiration très haute de l’orateur ou l’incroyable erreur du politique. Le fait est que lui et les autres doctrinaires de son parti marchaient sur le bord du précipice sans l’apercevoir. Castelar mettait même une sorte de coquetterie à montrer

  1. Discursus integros pronunciados en las Cortes constituyentes de 1873-1874. Barcelona, 1874.