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Il est fâcheux de venir au monde dans des conditions anormales ; ce fut le cas de cette pauvre République, disgraciée en naissant ; il lui manquait, il lui a manqué, jusqu’au dernier moment de sa brève existence, l’arme nécessaire dans la bataille des partis en Espagne : une épée. Que cette intrusion des militaires dans la politique soit déplorable, qui le conteste ? Il n’est pas moins vrai que, chez nos voisins, on ne fonde, hélas ! rien sans l’armée. Je lis dans une lettre que le célèbre Donoso Cortès écrivait, il y a plus de quarante ans, cette phrase suggestive, à propos d’un ministère qui avait passé un peu plus vite que les autres : « Le ministère Bravo Murillo a commis deux grandes fautes : la première est de ne s’être point assuré le concours d’un général[1]… » À vingt années de là, le mot de Donoso Cortès était toujours vrai. Le fait est que, en 1873, les chefs de l’armée nourrissaient dans leur cœur des sentimens peu tendres pour la République ; ils étaient plus ou moins partisans d’Alphonse XII. Les deux ou trois généraux notoirement républicains, tels que Contreras et Pierrad, — le Pierrad de la fameuse révolte des artilleurs en 1866, et ce même Contreras qui allait commander la criminelle insurrection de Carthagène, — n’étaient, ils l’ont prouvé, que des officiers d’aventure. Il eût fallu à cette jeune République l’égide d’un Espartero ou d’un Prim. Et assurément ces militaires espagnols qui font irruption dans la politique, trompettes sonnantes et sabre au clair, sont de grands pécheurs ! Il est juste pourtant de reconnaître qu’ils y apportent un certain goût de liberté et s’y entendent après tout aussi bien que les politiciens de carrière. Et puis, dans ce pays amoureux du panache, leurs uniformes brillans en imposent ; par où ils ont ce talisman que nulle vertu ne remplace dans la conduite des hommes : le prestige. Or, le prestige manquait totalement à l’honorable et obscur Figueras, que les hasards de la loterie parlementaire improvisaient, en une demi-heure, chef d’État[2].

L’assemblée avait élu, par des votes directs et nominatifs, tous les membres du gouvernement qu’elle créait. Figueras fut

  1. Deux Diplomates. Le comte Raczynski et Donoso Cortès, marquis de Valdegamas ; dépêches et correspondances politiques publiées par le comte Adhémar d’Antioche, Paris, 1880.
  2. « M. le Président. — Je vais suspendre la séance pendant une demi-heure'', afin que messieurs les représentans s’entendent sur les candidatures pour la nomination du pouvoir exécutif. » Compte rendu analytique publié par l’Imparcial du 12 février 1873.