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pharmacopolæ, balastrones, hoc genus omne[1]. » Roi qui ne rêva un moment l’Empire romain germanique que pour la beauté des costumes et la solennité des cérémonies ; qui ne désira la couronne et le globe que pour ce qu’ils avaient de gothique, en quelque sorte comme objets de vitrine, et qui construisit, une nuit, ce château dans ses songes, ainsi que, d’autres nuits, dans ses songes il avait bâti tant d’autres castels moyen âge ; mais qui, à la lumière du jour, apercevait ce qu’ils avaient de branlant, de ruineux, de suspendu, d’inconsistant, d’irréel, et qui, soudain désabusé de ses chimères, disait d’un ton bien posé et bien sage : « Mon petit, tout ça, c’est très beau, mais je le trouve trop cher. Un homme de l’espèce de Napoléon peut se permettre de ces coups d’éclat, mais non pas moi[2] ; » puis, le soir revenu, repris, touché à nouveau des ailes noires, pauvre roi qui « ne pouvait dormir, » promis dès longtemps au mal misérable où devaient comme se dissoudre et se liquéfier ses dernières années.

Guillaume Ier, au contraire, est très simple. Il se décide d’un mot : « C’est mon devoir, » et se résume en un mot : « C’est une âme de soldat. » Officier prussien jusqu’à la dragonne de l’épée, tant qu’il n’est que frère de roi, il peut regretter, il subit : il est le premier soldat de Prusse. En cette âme toute militaire, le sans-gêne dédaigneux avec lequel l’Autriche a traité la Prusse à Olmütz a laissé « une blessure toujours à vif. » Mais la douleur humiliée, le ressentiment qu’il en éprouve, il parvient à les maîtriser, ou à les faire taire, par discipline. De même dans le train ordinaire de la politique intérieure : comme il est le premier soldat, il est le premier sujet du Roi, le premier serviteur du chef de sa maison, et la hiérarchie dynastique n’est pas pour lui moins rigoureusement établie, ni la discipline dynastique moins impérieuse que la hiérarchie ou la discipline militaires. Cependant, peu à peu, comme tout prince royal, on réussit à le circonvenir, à le « chambrer, » à lui faire une politique personnelle, une politique d’héritier présomptif, qui, comme celle de tout prince royal, est en opposition avec la politique du Roi. Mais il ne perd jamais le respect, n’oublie jamais ni le droit de l’aîné, ni le droit du suzerain ; c’est une opposition qui ne supprime ou n’exclut ni l’hommage féodal ni le salut militaire. Et, parce que cette âme de soldat est très simple, elle se meut d’un seul ressort, qui n’est

  1. Pensées et Souvenirs, t. I, p. 116, 182.
  2. Ibid., t. I, p. 131.