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l’aventure de tout son élan, redevenait ce qu’il avait été avant 1866, l’agitateur infatigable.

Le but était le même : les moyens seuls furent différens. Ce n’est plus dans la chaire ni dans la presse qu’il va lutter, mais dans le Parlement aux Certes.

Son programme était toujours celui qu’il avait reçu des premiers démocrates espagnols, surtout de nos républicains de 1848 ; le même qu’il avait exposé dans la Formula del Progreso ; le même enfin qui avait inspiré ses leçons de l’Athénée et ses articles de la Discusion, puis de la Democracia. J’en ai fait connaître les revendications raisonnables et les parties chimériques. Il offrait ce contraste d’être audacieusement révolutionnaire sur le terrain politique et très conservateur en tout ce qui touche aux bases de la société. Castelar le rapportait presque intact de l’exil. C’étaient les mêmes théories, coulées dans leurs mêmes formules vagues, commodes, infiniment dangereuses. L’exil, à cet égard, ne lui avait rien appris. La vérité est qu’il gardera jusqu’en 1873 ses illusions d’idéologue. Il lui faudra l’épreuve du pouvoir et des terribles désordres où l’Espagne a failli sombrer. Alors seulement ses yeux furent dessillés ; alors seulement ils contemplèrent la réalité face à face ! Et pour la première fois, il cessa de voir passer des ombres dans la caverne de Platon.

Son rôle, en ces premières semaines, fut, à vrai dire, d’un tribun. Madrid était alors dans l’état de fièvre qui suit les journées de révolution ; état, il est vrai, inoffensif, car la révolution de septembre fut une des plus bénignes. Mais, au lendemain de ces grandes tempêtes, les eaux soulevées ne rentrent que lentement dans leur lit. Les ouvriers vivaient dans la rue : c’étaient sans cesse des manifestations nouvelles. Castelar, ayant commencé une campagne d’agitation, ne craignait pas de prendre part à ces démonstrations populaires. On le vit un jour, avec le patriarche Orense et les autres chefs républicains, conduire la foule, aux sons de l’hymne de Riego et de la Marseillaise, vers le monument patriotique du Deux Mai et là, montant sur une table, fulminer une harangue contre la monarchie. Ces manifestations en plein vent s’expliquaient par l’exaltation qui régnait, et aussi par l’intérêt très pressant qu’il y avait pour les républicains à occuper les esprits de leur idée, à créer dans ce sens un courant d’opinion. En effet les temps étaient proches. L’Espagne allait élire des Cortès constituantes. Porté un peu partout, Castelar fut élu dans