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connaître les exigences qu’il avait officiellement produites et auxquelles il lui devenait dès lors difficile de renoncer. Ces manifestations, habilement entretenues et échelonnées, ne laissaient pas d’agir vivement sur l’opinion publique. Celle-ci pourtant était divisée : elle était bien loin de présenter la parfaite unanimité qu’on avait constatée dans d’autres circonstances, dont quelques-unes sont trop récentes pour être oubliées. Sir Henry Campbell Bannerman, le leader du parti libéral, multipliait les questions à la Chambre des Communes. On tenait des meetings pacifiques. Les meetings impérialistes et belliqueux étaient assez rares, souvent troublés, et quelquefois même ne pouvaient pas se tenir. On sentait confusément, mais assez fortement ce qu’il y avait de peu moral dans l’entreprise fomentée contre un petit peuple qui, après tout, défendait son existence, et cela pour un intérêt qui n’était pas seulement celui de la grandeur et surtout de la gloire de l’Angleterre. On aimait à mettre le ministre des Colonies en opposition avec ses collègues, et notamment avec lord Salisbury ; mais celui-ci se taisait et laissait faire, se réservant peut-être d’intervenir au dernier moment, et s’abandonnant à une indolence qui pourrait bien, un jour ou l’autre, le mettre aux prises avec des événemens dont la direction lui aurait définitivement échappé. Il y a eu des jours d’inquiétude et presque d’angoisse, où on a pu se demander qui l’emporterait, de l’impérialisme fougueux et débridé de M. Chamberlain, ou de la sagesse devenue un peu inerte de l’ancien parti conservateur.

Alors s’est produit un événement nouveau, bien fait pour servir d’avertissement à ceux qui consentent encore à observer et à réfléchir : l’intervention des Afrikanders du Cap. Les Afrikanders, les anciens habitans du Cap et de Natal, Hollandais d’origine comme les Boers du Transvaal et de l’État libre d’Orange, sont restés avec eux en communion d’esprit et de race. Ils sont animés à l’égard de l’Angleterre d’un loyalisme qui ne s’est jamais démenti et que nul ne met en doute, mais qui n’a pas supprimé chez eux d’autres et de plus vieux sentimens. Mêlés à la population anglo-saxonne du Cap, et jouissant avec elle des mêmes droits politiques, ils sont tantôt en majorité, tantôt en minorité au parlement. Pour le moment, ils y sont on majorité. Les dernières élections générales la leur ont donnée, et une élection partielle, qui est d’hier, a montré que la confiance du pays ne les a pas abandonnés depuis. Dans la circonscription du Tenbuland, que le gouvernement de la colonie considérait comme une espèce de bourg pourri à sa dévotion, l’ancien premier ministre, sir James Gordon