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dée, entraînât immédiatement la plénitude des droits politiques. M. Krüger a proposé que le droit de vote fût accordé dans deux ans aux uitlanders qui habitaient le transvaal avant 1890, c’est-à-dire depuis neuf années accomplies, ce qui portait leur stage préalable à onze ans. Pour les autres, ils devaient d’abord se faire naturaliser après deux ans de résidence, et ils n’obtiendraient le droit de vote que cinq ans après, ce qui portait en tout leur stage à sept ans. On pouvait se demander, et on n’a pas manqué de le faire, quelle serait la situation de ces nouveaux burghers qui, naturalisés après deux ans de résidence, auraient perdu leur nationalité primitive sans acquérir les droits que devait comporter la nouvelle. Il faut convenir que cette disposition était un peu sévère, mais nous ne discutons pas, nous nous contentons d’exposer les propositions de M. Krüger. Il exigeait en outre des conditions de moralité et de fortune dont les dernières étaient quelquefois assez difficiles à remplir et devaient beaucoup réduire le nombre des électeurs. Enfin il exigeait une indemnité pour le tort causé à son pays par l’agression de Jameson. Il lui a été répondu sur ce point que le principe de l’indemnité était accepté et que, quant au chiffre, le gouvernement anglais proposait qu’il fût fixé par un arbitrage. Bien loin de repousser cette dernière suggestion, M. Krüger s’empressa de demander que tous les différends ultérieurs qui pourraient s’élever entre l’Angleterre et le Transvaal fussent réglés par voie d’arbitrage, et il alla même jusqu’à surbordonner toutes ses autres propositions à l’acceptation de celle-ci. On était loin de compte. Sir Alfred Milner avait des instructions formelles et ne pouvait pas s’en départir ; M. Krüger n’était pas disposé, au moins alors, à modifier son programme. On se quitta sans s’être entendu, et le seul résultat de la conférence fut de montrer qu’on était séparé par un fossé profond.

Cette constatation servait admirablement les vues de M. Chamberlain. Sous son influence, une très active campagne de presse s’est poursuivie pendant plus d’un mois, échauffant les esprits, les exaltant, les poussant aux violences, et M. Chamberlain s’y est mêlé lui-même, moins encore par les discours amers, hargneux, mais mesurés, qu’il prononçait à la Chambre des Communes que par le langage plus libre, plus abondant, plus agressif, qu’il a tenu à ses électeurs de Birmingham. Bien plus, et par un précédent qui à coup sûr n’est pas à encourager, M. le ministre des Colonies publiait un Livre bleu où il livrait à la curiosité publique toutes les pièces d’une négociation qui avait sans doute abouti à un premier échec, mais qui pouvait et devait être reprise. Il semblait se fermer la retraite à lui-même en faisant