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prix excessif des matières indispensables ; des tarifs exorbitans ralentissaient toutes leurs transactions ; le génie de la fiscalité semblait s’être attaché à eux pour leur faire subir des vexations et des pertes de toutes sortes. Ils protestaient, et ils avaient raison. On le savait chez nous presque aussi bien qu’en Angleterre : l’argent français a afflué en quantité si considérable dans les affaires du Transvaal, qu’on n’estime pas à moins d’un milliard et demi les capitaux que nous y avons engagés. Est-ce à la maladresse qu’il faut attribuer la politique des Boers à l’égard des uitlanders ? Est-ce à la cupidité ? Aux deux, sans doute. Chez ces montagnards pauvres, honnêtes, laborieux, qui avaient longtemps, mené, sur leurs plateaux disgraciés de la nature, une vie qu’on a appelée patriarcale, et qui rappelle effectivement les temps bibliques, la vue de l’or a produit son effet habituel, avec une intensité d’autant plus grande que le phénomène, pour eux, était plus nouveau. Il s’est fait. On sait avec quelle habileté mêlée de ruse le paysan, dans tous les pays du monde, s’entend à vivre aux dépens de son voisin, et avec quelle rapidité l’esprit des affaires se développe chez lui, au moins par ses petits côtés. Il en a été, sous ce rapport, au Transvaal comme ailleurs. Quand le Boer a vu les capitaux européens affluer chez lui et qu’il en a bien compris l’usage, sa première pensée a été de s’en attribuer la plus grande quantité possible, et pour cela tous les moyens lui ont paru bons. Ce sentiment était trop naturel pour qu’on eût le droit de s’en offenser, mais il a été poussé, bien loin, et ses effets devaient amener une réaction non moins naturelle de la part de ceux qui en étaient victimes. De là est née la situation qui, hier encore, menaçait de se dénouer par un conflit sanglant.

Toutefois, il serait injuste d’attribuer exclusivement à de mauvais sentimens la conduite des Boers à l’égard des uitlanders. Beaucoup d’entre eux ont obéi à des mobiles d’un ordre plus élevé, et, parmi eux, ou plutôt à leur tête, il faut placer le président Krüger. Son désintéressement personnel n’a jamais été mis en doute. Il est avant tout un patriote. Si les mœurs des Boers se sont modifiées, c’est-à-dire altérées et quelquefois dépravées autour de lui, il a été le premier à en souffrir, et c’est à ses yeux un motif de plus de se mettre en garde contre les étrangers qui semblent avoir entrepris l’invasion morale aussi bien que l’invasion matérielle du pays. Le président Krüger ne voit pas seulement ce qui se passe au Transvaal, il entend ce qu’on dit au dehors, il a l’oreille et l’esprit ouverts, et il ne saurait se méprendre sur les projets que des voisins audacieux affichent avec une bruyante hardiesse, comme s’ils étaient sûrs que rien ne pourra