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et on en a triomphé par le concours de l’opinion et du gouvernement. On a réduit le nombre des débits. Tel est le grand remède.

Ce n’est point, en effet, par des discours ou par des prédications seulement que l’on réussit à endiguer les passions humaines, mais selon la formule employée par M. Manini, c’est en accumulant devant elles les obstacles matériels. Ainsi ont procédé les Suédois. Ils supprimèrent la liberté de vente au détail ; ils limitèrent le nombre des débits. Tout d’abord, ceux-ci étaient mis en adjudication, et concédés au plus offrant. En 1865, à Gothembourg ce furent des citoyens dévoués, des membres des ligues anti-alcooliques qui se portèrent adjudicataires. Ils s’imposèrent l’obligation de ne débiter que des boissons hygiéniques. Ce système s’étendit rapidement à un grand nombre d’autres localités de la Suède,

En 1871, il s’introduisit en Norvège, et y reçut de nouvelles améliorations. La vente au détail est un monopole. Ce monopole est concédé dans les villes à des sociétés approuvées et encouragées par le gouvernement et les municipalités qui d’ailleurs fixent le nombre des débits et leur emplacement. Les bénéfices réalisés sont exclusivement employés à des œuvres de bienfaisance et d’utilité générale. Les résultats de cette organisation ont été merveilleux. La consommation d’alcool qui, d’après les documens, était, en 1877, de 3lit,34 par tête, est tombée en 188S à 1lit,15. Le mal était enrayé. Les moyens avaient été énergiques. Les municipalités rurales avaient été investies du droit d’interdire, au besoin, la vente des eaux-de-vie ; et beaucoup en avaient usé. Des pénalités sévères avaient été établies dans les cas d’infraction.

Grâce à ces mesures appliquées avec suite, les pays scandinaves ont arrêté le fléau. Le péril n’était pas moindre chez eux que chez nous. Il y était peut-être plus grand à certains égards. Les pays du Nord sont les plus exposés aux ravages de l’alcoolisme. On s’imagine bien à tort que les excès alcooliques sont plus meurtriers sous les latitudes tempérées ou dans les pays modérément chauds que dans les pays froids. C’est là une erreur. De même que c’est en hiver que la mortalité par ivresse s’élève le plus haut, de même c’est dans les pays du Nord que les accidens mortels de l’alcoolisme sont les plus fréquens. L’exemple de la Russie est tout à fait démonstratif à cet égard : les documens de M. Sikorsky (de Kiew) l’ont bien établi.