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fait le larron : elle fait surtout le buveur. Le Français de 1850 consommait annuellement 1lit,46 d’eau-de-vie ; en 1860, le taux s’élève à 2lit,27 ; en 1880 à 3lit,64 ; en 1895 à 4lit,07 ; en 1896 à 4lit,19.

Si l’on ajoute à l’alcool en nature, celui des boissons fermentées, plus ou moins naturelles, vins, cidres, bières, on arrive au total de 14 litres par tête. Le chiffre de M. Jacquet est 14lit,19 ; et, malgré les contestations, l’auteur le maintient comme exact. Il faudrait même le majorer pour tenir compte de la fraude. La consommation apparente taxée par l’administration ne représente qu’une partie de la consommation réelle. On peut évaluer à plus de deux millions d’hectolitres la quantité frauduleusement soustraite à l’impôt.

Si l’on veut se faire une idée de la quantité de poison qui coule ainsi annuellement dans les veines du buveur, il faut tenir compte des enfans, des femmes, des gens sobres dont la part vient grossir la sienne. Il faut noter aussi que 14 litres d’alcool représentent 35 litres d’eau-de-vie ou 140 litres de vin ou 200 litres de bière.

Quant à la nocivité de l’alcool elle est d’autant plus considérable que ce liquide est plus concentré : l’eau-de-vie est plus dangereuse que les boissons dites naturelles. Enfin, les alcools impurs ou mêlés d’essence, les liqueurs, les bitters, les absinthes possèdent une malfaisance spéciale qui vient s’ajouter à celle de l’alcool proprement dit.

Le fléau alcoolique s’est donc considérablement aggravé en France dans ces dernières années. Le Français boit maintenant plus d’alcool que les autres peuples. Nous tenons le record du monde dans ce match d’un nouveau genre. On disait jadis « boire comme un Suisse, » « boire comme un Polonais ; » nous battons aujourd’hui le Suisse, nous battons le Polonais, et c’est à nous-mêmes que l’on peut maintenant appliquer le mot de l’Écriture : « Malheur à ceux qui sont des héros pour boire du vin ! »

Il est une autre loi que les médecins et les hygiénistes ont pu déplorer, en se plaçant au seul point de vue de l’hygiène, et, peut-on dire, de la santé physique et morale de la race française. C’est la loi du 14 décembre 1875. Cette loi a complètement affranchi l’industrie des petits bouilleurs de cru, c’est-à-dire des propriétaires qui distillent les vins, marcs, cidres, prunes et cerises pro-