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peau que les rayons cuisans du soleil mordent à travers la toile et le coutil de nos habits européens. Il est, il est vrai, bien lourd, bien gênant ; le cou plie sous le poids du burnous. Mais il est si beau, malgré les ridicules conserves noires préservatrices des ophthalmies, il est si beau dans sa couleur de neige, sous l’éclat du grand soleil !

Les chameaux de charge restent en arrière ; ils n’auront qu’à suivre la route jusqu’en un point que les sokhrars connaissent bien. Nous, nous partons en avant, avec le guide et Abdallah. L’étape sera très courte aujourd’hui : et nous sommes impatiens de quitter le grand plateau noir, qui étincelle sombrement dans la chaleur du matin, et d’atteindre El-Houberat, où il y a un petit caravansérail.

Le voilà, ce petit édifice du désert, là-bas, très au-dessous de nous, au fond d’un cirque, au bord duquel nous nous arrêtons vers deux heures de l’après-midi, dans l’aveuglante lumière et la pesante chaleur. A l’abri de ces murs, nous attendrons nos bagages et nous passerons le restant du jour à nous reposer.

Le caravansérail est gardé par un vieillard, sa femme et son enfant, logés dans un gourbi, près d’un bosquet de palmiers et d’un puits dont l’eau est assez fraîche. Nous passons là quelques heures délicieuses. Pendant que nos hommes font leur interminable cuisine et prennent leur khaoua, étendus sur le tapis du bassour, nous nous intéressons à des choses infimes, qui prennent tant de valeur au cœur des solitudes. Le singulier jardin que nous visitons là, par un brûlant après-midi d’été, dans un cirque solitaire du plateau du M’zab I La drôle de visite de propriétaire que nous fait faire le vieux aux vêtemens sordides, à la barbe inculte, aux yeux chassieux, et qui, d’une voix chantante, nous signale les beautés de son domaine dans une langue que nous ne comprenons pas ! Il est vraiment merveilleux, ce jardin, si vert, si animé par ses ruisselets chantans dans le pays mort. A l’ombre de quelques palmiers, des carrés de légumes découpent géométriquement le sol, séparés par des allées de galets rouges, soigneusement rapportés : des pois, des carottes, des haricots, des citrouilles, des courges, des concombres, des melons d’eau et, ô surprise si fraîche aux yeux et à l’âme ! dans une petite mare alimentée par l’eau du puits, du cresson, du cresson de fontaine, autour duquel tournoient des animalcules aquatiques.

Cependant je voudrais parcourir cet étrange cirque, régulier