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forment de chaque côté de petites murailles où chantent les lézards. Partout ailleurs, le cercle infini, monotone, désespérant, dont les lignes nettes, implacables, sont dures à l’œil dans l’absolue transparence de l’air, et dont l’éclat noir, étrangement triste, évoque à l’esprit quelque fantastique paysage des temps à venir où, dans la demi-nuit des mondes éteints, le soleil assombri ne jettera plus que des lueurs grises sur le cadavre de la terre morte, glacée et raidie. C’est la Hammada, l’immense Hammada noire, qui étale interminablement ses champs de pierres, loin, très loin, par delà les horizons, vers l’extrême Sud mystérieux. Tout cela rayonne et étincelle de sombres éclats, sous le ciel de plomb qui semble peser lourdement sur la terre, dans l’accablante chaleur qui durcit tout, qui crevasse le sol et fait éclater les pierres. Oh ! la pesante journée d’été tardif, la plus dure que nous ayons encore supportée, où l’on somnole, les yeux mi-clos, les jambes vacillantes, la gorge desséchée, les membres brûlés et endoloris, dans une lourde torpeur, à travers l’atmosphère immobile et irrespirable, au monotone balancement des chameaux !


Dans l’engourdissement où nous sommes tombés nous ne voyons plus rien qu’un grand étincellement vide, où tremblent, où dansent les lointains. Subitement un cri nous réveille et nous sursautons. C’est le cri magique : El-Bahr ! l’eau ! De l’eau en effet, un étang morne allongé sur les platitudes, reflétant le ciel noir, noir lui aussi comme une coulée d’encre. Quelques palmiers, palpitant dans la chaleur, dessinent dans cette eau leur confuse et indécise image renversée. Et je pars en avant, ébloui, l’œil fixe, la soif plus cuisante, dans une fièvre impatiente d’atteindre le premier cette masse mouvante, fluide, vivante, si douce à voir dans la rigidité des choses desséchées qui nous entourent.

Abdallah me rappelle ; je ne me retourne même point et je continue. Mais l’eau semble s’éloigner à mesure que j’avance ; les contours de la mare, les lignes des arbres s’amollissent, se changent insensiblement en ombres vagues, en nuées du ciel pâle, et l’apparition, de plus en plus transparente et imprécise, s’évapore dans l’air, s’évanouit dans le néant du vide. J’ai compris : hélas ! c’est le mirage, le mirage décevant, qui fait l’air plus brûlant et la soif plus dévorante.


C’est avec bonheur que nous regardons aujourd’hui le soleil