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où la marche est atroce, dans l’obscurité qui nous noie.

Tout à coup un feu d’herbes fumeuses rougeoie, loin devant nous. Sans doute un signal. Je réponds, pour rassurer, par un coup de revolver.

Enfin, nous sommes arrivés, éreintés, moulus. Depuis onze heures nous sommes en selle et depuis une heure nous galopons dans d’indescriptibles chemins. L’équitation à l’arabe, avec une selle trop haute, trop étroite et où l’on est à peine assis, des étriers trop courts et attachés trop en arrière, et qui font douloureusement plier le genou, est une torture.

Nous trouvons de la société à Zelfana où il y a une petite maison, abri des caravanes errantes. Les puits sont toujours, dans les régions un peu fréquentées du désert, des lieux de réunion. Quelques bergers accroupis ont des têtes de bandits. Le vieux surtout, qui garde le caravansérail, est hideux ; sa peau, rôtie de soleil, se laisse voir à travers les déchirures de son manteau ; son visage est ridé, tanné, terreux, sa bouche gluante, ses yeux coulans et des essaims de mouches lui pendent aux cils et aux coins des lèvres. Il me prend pour un thoubib, c’est-à-dire un médecin, et me demande de lui guérir les yeux. Mais que faire avec des gens qui ne se lavent jamais, qui, pour leur prière, exagérant un précepte de Mahomet, se baignent le visage de poussière, et chez qui l’ophthalmie et la conjonctivite sont à l’état chronique ? Pourtant quelques gouttes de sulfate de zinc le soulagent et il me bénit longuement avec des gestes solennels et des discours auxquels je ne comprends rien.

Cependant nos gens ont égorgé et dépouillé le mouton et le font cuire tout entier, un bâton passé au travers du corps, au-dessus du feu. C’est délicieux de tirer sur cette chair grillée, dans la fraîcheur du soir, devant cette auberge de brigands fantastiquement éclairée par notre foyer, en face des grands espaces où ondule à cette heure la mer des ombres.

Et l’on se couche, appesanti de fatigue, entre les murs où rôdent les araignées et où grouillent les mille-pattes et les tarentules.


3 Octobre.

Le grincement de la poulie du puits me réveille. Les Arabes tirent de l’eau pour abreuver les bêtes et remplir les tonnelets et les outres ; car à l’étape de ce soir nous n’aurons pas d’eau. On