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et ramènent les égarés ; parfois ils s’arrêtent, font agenouillera grands coups dans les genoux une bête hurlante, pour sangler plus solidement une charge qui branle. La chamelle du bassour, plus encombrée, marche plus lentement, large et haute, portant avec un balancement majestueux le baroque édifice où le soleil met de vifs éclats rouges. Et je suis tout en arrière avec Abdallah, dont le cheval se traîne péniblement sur le sable qui enfonce. J’essaye d’obtenir quelques renseignemens sur le pays, mais en vain ; ces Arabes sont indifférens à tout et passent devant la nature comme endormis dans le bercement monotone de la caravane.

De temps à autre, fatigué du mouvement saccadé de la dure elle de bois, je descends, laissant mon mehari aller à l’aventure comme une épave à la dérive et seul, livré à l’admiration concentrée et un peu assoupie de cette nature si belle en sa sauvage désolation, je suis de loin la caravane, cherchant des plantes, cherchant les petits animaux du désert.

Au loin deux hautes silhouettes d’hommes montés sur des chameaux apparaissent, gigantesques sur les infinies perspectives plates. On s’interpelle de loin, en arrêt, par prudence ; puis, toute crainte dissipée, on s’aborde. Ce sont deux Châamba Bou-Rouba d’Ouargla qui se rendent à Ghardaïa. Et nous restons quelques instans avec eux, heureux de voir des hommes, échangeant ces salutations et ces souhaits qui, dans la langue imagée du désert, semblent des bénédictions.

Tout à coup, sans qu’on pût s’en douter dans l’horizontalité du plateau, nous voilà sur le bord d’une de ces vallées desséchées des fleuves quaternaires, qui dorment depuis quelque cent mille ans sous l’étouffant manteau des sables. Toutes les mêmes, ces vallées, dans leur splendeur de cadavres ensoleillés : des parois de roches disposées en assises régulières, comme des ruines de constructions très anciennes qui seraient demeurées là, conservées dans la chaude atmosphère et sous l’ouate des poussières. Ces murailles ont d’admirables teintes adoucies et indéfinissables, sous le soleil qui les frappe obliquement : gris de perle, jaunes orangés, roses passant au blanc, avec, derrière chaque cassure, de petites ombres colorées, bleues ou violettes, aux reflets irisés. Le vent a fait couler du plateau de longues traînées de sable, par où l’on descend. Et en bas c’est le fleuve des sables crus, ondulés, moutonnans comme des vagues d’or figées, sur lesquelles ruisselle