C’est toujours ainsi qu’on procède pour les départs de caravanes ; jamais, le premier jour, les charges ne sont bien équilibrées ; des hommes, qui ne sont pas prêts au dernier moment, restent en arrière ; la première halte est ainsi un point de ralliement pour le départ définitif. Et puis, il faut nous habituer à nos étranges montures, à leur balancement saccadé, si fatigant. Nous planterons ce soir notre tente à deux lieues seulement de Ghardaïa, dans la vallée de l’Oued-M’zab, au barrage d’El-Ateuf, qui n’arrête en cette saison que la rivière des sables.
Noire troupe se compose de quatre Arabes : le guide, ses deux serviteurs nègres, qui font l’office de sokhrars ou conducteurs de chameaux, enfin Abdallah, cavalier du bureau arabe de Ghardaïa, qui nous servira tant bien que mal d’interprète. Le guide, des Chambâa Bou-Rouba d’Ouargla, est un grand Arabe sec et osseux, brûlé, tanné par le soleil et le vent, les yeux petits et chassieux, la barbe rare, une vraie figure de brigand, solennel et taciturne comme tous les Sahariens, mais si obligeant, d’une prévenance si pleine de dignité que je regrette d’avoir oublié le nom de ce compagnon de quelques jours. Nous avons deux meharas couleur de sable, une chamelle blanche pour le bassour et quatre chameaux de bât, au poil brun et laineux, entre lesquels tous nos bagages sont répartis : une tente, une malle d’effets et de linge, deux cantines, de la vaisselle de fer, une cage à poules, des tonnelets et des outres de peau de bouc, appelées guerba, gonflées et suintantes d’eau. Quant à Abdallah, il a voulu à toute force emmener avec lui son cheval, le vaillant Messaoud, qui part audacieux, la tête haute, avec sa selle de cuir rouge et ses étriers d’acier ciselé.
Allègrement nous descendons la vallée de l’Oued-M’zab sur le tapis feutré des sables. On marche vite dans l’entrain du départ. Et puis le sol ne porte pas une plante, pas une herbe, et les chameaux ne s’arrêtent pas à chaque instant, comme ils font d’ordinaire, pour brouter. Quelques noirs nous croisent, qui vont travailler à l’oasis dans la fraîcheur du soir et aussi quelques marchands mozabites, lourds et épais, montés sur leurs petits ânes, et qui nous envoient gravement leur salam.
A la porte de Beni-Isguen, le caïd vient nous saluer, puis la marche se poursuit dans la douceur lumineuse et la paix du jour finissant. Au tournant de la vallée, nous embrassons d’un dernier regard ce merveilleux pays du M’zab que nous quittons