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la jambe tendue et sans jamais plier le genou, la course est très fatigante. Au galop, c’est intolérable ; les foulées de la bête atteignent jusqu’à vingt mètres.

Telles seront nos montures pour plusieurs semaines. A l’essai, nous n’en sommes guère enthousiastes et nous revenons chaque soir de nos exercices brisés et moulus, malgré la double ceinture qui nous soutient la taille et les aisselles et nous empêche de plier sous la fatigue. C’est qu’il faut prendre garde à ne pas s’oublier un instant ; un saut de trois mètres sur les cailloux du désert est toujours dangereux et il ne manque pas d’exemples de cavaliers qui se sont tués, en se laissant choir, dans une marche de nuit, assoupis par l’épuisement et le pas balancé des chameaux.


Le marché de Ghardaïa. Sur la place entourée de colonnades et inondée de lumière, des caravanes, venues de tous les coins de l’horizon, déballent les richesses de tous les peuples de l’Afrique, étalées au hasard sur le sol, parmi les chameaux accroupis : tapis du M’zab avec leurs rayures géométriques, tapis du Djebel-Amour aux laines éclatantes, faïences vertes du Mohgreb, tellis de dattes d’Ouargla ou de Ghadamès, harnachemens touareg en cuir rouge et vert, haïks de soie de Tripoli, gommes, résines, poudre d’or et plumes d’autruche du lointain Soudan, forment des amoncellemens, des masses aux vives couleurs, cependant que circule tout autour une foule grouillante, qui fait sous le soleil des jeux variés de lumière et d’ombre. Nous passons des heures sur cette place, trouée éblouissante dans la sombre ville ; nous interrogeons les marchands et les caravaniers, les esclaves noirs qui viennent de si loin qu’ils ne savent plus le nom de leur pays ; et notre imagination rôde avec nos yeux de marchandises en marchandises, évoquant les mystérieuses régions d’où toutes ces richesses viennent et dont longuement nous rêvons.



III


Majoresque cadunt de monlibus umbræ.
1er Octobre.


Au soir doré, nous quittons le bordj de Ghardaïa. Le colonel Didier, qui a eu l’amabilité de régler lui-même tous les détails de l’expédition, a décidé que la première étape serait très courte.