Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/673

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’abri des rayons avides. On y descend par quelques marches. Au fond, sous les voûtes pesantes, c’est un charme d’ombre et de fraîcheur, une indicible sensation de bien-être au sortir des plaines ensoleillées. A peine une étroite coulée de lumière, qui filtre par un soupirail, raye le fond obscur des murs, le velours des ombres, et vient danser, en un cercle lumineux, sur les eaux plates, aux lourdeurs d’encre.


Maintenant nous roulons de nouveau sur le plateau désert. Les dayas se font de plus en plus rares ; au crépuscule, la dernière tache verte fuit derrière nous, pâlit, s’efface dans la monotonie grise des lointains. Et il n’y a plus que la plaine unie, la plaine de cailloux, comme si, dans les temps géologiques, en ce lieu maudit, il avait plu des pierres.

La nuit est venue toute blanche et transparente. Sur l’absolue platitude du sol, rien n’arrête les rayons de la lune ; pas une ombre. Terre et ciel, dont les limites se confondent, sont du même blanc laiteux. On marche dans une brume de lumière ; et, appesantis par la fatigue, il nous semble que nous sommes en ballon, flottant parmi des choses molles, portés doucement à travers les espaces blancs, sous une lune d’hiver.


Vision fantastique de Berriân dans la nuit blanche. La diligence s’arrête, pour le relais, en dehors des murs. Les bruits de l’oasis ne parviennent point ici. Le lieu est exquis de silence, perdu dans la campagne déserte, à côté de la ville endormie. De l’autre côté du petit mur de terre séchée qui borde la route, un cimetière mozabite repose, un de ces mélancoliques cimetières sahariens, sans monumens et sans arbres. Les tombes, simples pierres jetées au hasard, sont couvertes de poteries brisées, suivant une antique coutume des Mozabites, dont l’origine est inconnue. Le triste cimetière, tout parsemé de débris I On dirait des ruines de tombes. Sous toutes ces pierres, des crapauds, très abondans dans ce lieu bas, chantent d’une voix plaintive ; et cette musique de bêtes, dans ce champ de mort, ces pleurs bizarres des petits crapauds chanteurs ajoutent à notre mélancolie.


Ghardaïa, 29 Septembre.

A Ghardaïa, où, sur la recommandation du général Swiney, nous sommes gracieusement hébergés par le colonel Didier, commandant