Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/671

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plaine s’étend, large et nue, formée d’un calcaire blanchâtre qui fait dans les lointains, sous la lune naissante, de singuliers effets de neige, toute jonchée de cailloux et parsemée de maigres touffes de rmetz combustible, que nous revêtons en passant d’un manteau de molle poussière. Au loin, très loin derrière nous, Laghouat et sa mer de verdure ont sombré dans l’imprécision des horizons violets, et nous roulons seuls, abandonnés, droit vers le Sud, dans le désert et dans la nuit.


En pleine nuit, arrêt de quelques instans au relai de l’Oued-Nili. Le silence et l’immobilité, succédant à la galopade pleine de heurts sur les cailloux du plateau, me réveillent, et je descends. La nuit est blanche de lune ; le ciel, noyé dans une vapeur de lait, où pâlissent les étoiles, verse silencieusement une douce lumière argentée sur la plaine endormie, dont pas une ombre ne tache le blanc manteau ; seule, la maison de poste étend sur la terre sa grande ombre, toute bleue. Là-bas, les vagues lointains sommeillent paisiblement, étrangement profonds, se fondant avec le ciel dans le mystère des horizons. Oh ! cette nuit du désert, si fraîche après l’accablante chaleur du jour, si douce aux yeux par ses teintes atténuées et ses lignes indécises, si reposante pour l’âme en sa placide sérénité !


2ô Septembre.

Le matin, au réveil, c’est autour de nous un pays nouveau, la région des dayas. Les Arabes appellent ainsi de légères dépressions, où s’amassent les rares eaux du plateau. L’eau est la fée bienfaisante, la grande puissance occulte de ce pays de soleil ; ces quelques gouttes, invisibles et souterraines, qui humectent par en dessous le roc altéré, l’ont revêtu du tapis des douces verdures et y ont fait surgir la végétation, les herbes folles, les buissons épineux, les jujubiers sauvages et les bétoums ou pistachiers de l’Atlas. Tous les deux ou trois kilomètres, les dayas se succèdent : on en a toujours plusieurs en vue. Dans ces cuvettes déprimées, dont la rectitude du sol empêche de voir le fond, les arbres sont blottis, cachés ; au niveau de la plaine on aperçoit seulement le moutonnement de leur feuillage ; et c’est un spectacle exquis, dans la grande désolation du paysage, de voir semées çà et là ces fraîches taches vertes, qu’on suit de l’œil longtemps, amoureusement.