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Sahara, la plaine infinie dont on rêve, élargissant sous le ciel ses perspectives vides ? Je ne peux me retenir ; une ardeur irraisonnée m’entraîne à travers cette oasis, que je ne connais point et où je risque de m’égarer. Je marche, je marche de plus en plus vite dans la nuit des hautes ramures, et c’est en courant que je gravis un monticule, d’où je sais que la vue domine au loin, par-dessus la mer de verdure. Je veux dès ce soir prendre possession du désert, qui m’a attiré de si loin, auquel je songe depuis tant de mois, et que déjà j’aime.

Jamais je n’oublierai le spectacle que j’ai contemplé ce soir, à la tombée de la nuit, sur une colline solitaire, cette révélation brusque du désert à l’heure où toutes choses sont plus imposantes. C’est bien le Sahara qui s’étend devant moi, à perte de vue vers l’horizon du Sud, ici tout blanc de lune naissante, là tout rosé de l’adieu du jour, uni, vide, circulaire, immobile, silencieux et profond, profond jusqu’à la fine ligne noire où, dans le ciel glauque, s’éteint peu à peu la lumière. Longtemps, je reste là, les yeux brûlés ; mon cœur se serre ; je m’en veux de ne pas pleurer.

Et quand, à la nuit toute noire, je redescends, je m’égare dans l’oasis, où j’erre longtemps, sous la colonnade des palmiers, songeur, aux lointains glapissemens des chacals.


19 Septembre.

Laghouat est une minuscule tache blanche, qui semble sourire dans le velours des verdures qui l’enserrent. Elle dort, la petite ville, à l’abri du rideau mouvant des palmes, inondée de claire lumière, étagée au flanc d’une colline rocheuse et regardant des étendues vides.

La merveille de Laghouat, c’est l’oasis, qui étend sur trois côtés de la ville l’ombre de ses trente mille dattiers. Un barrage très profond, qui arrête les eaux superficielles de l’hiver, et ramène à la surface les eaux souterraines de l’été, est le véritable créateur de cette oasis, protégée contre l’envahissement des sables par des plantations de tamaris. Depuis le barrage on voit courir l’eau dans des canaux gazonnés, parmi la végétation lacustre des joncs ; ces courans, qui chantent sur les cailloux, portent ici la vie et la fécondité.

Cette eau si précieuse n’est pas laissée à la discrétion des populations, insouciantes et gâcheuses, qui auraient vite fait de la gaspiller. Elle est distribuée systématiquement, par une ingénieuse