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à la tête de 700 000 ou 800 000 francs de capital, qui garde néanmoins, comme un tenancier d’outre-Manche, le respect seigneurial de l’aristocratique Angleterre, et tient à honneur de faire servir à table son propriétaire par ses propres filles, d’élégantes demoiselles, lorsque celui-ci accepte par hasard à déjeuner. Longtemps les entraîneurs furent tous Anglais ; ils formaient une colonie qu’unissaient les liens du sang, — les Carter, à Chantilly, sont une véritable tribu, — fidèle à son régime alimentaire, à sa langue et à sa foi. Un clergyman pour l’église officielle, un ministre pour la chapelle dissidente, satisfont les besoins religieux. Cependant la superstition de nos hommes de sport pour les méthodes hippiques de la Grande-Bretagne est battue en brèche. Un Français du meilleur monde dirige avec succès l’écurie Rothschild et plusieurs de nos compatriotes, M, Guinebert, entre autres, ont fait gagner, dans le steeple, des sommes considérables aux chevaux qu’on leur a confiés.

La « sortie » quotidienne consiste en un galop préparatoire — le « canter, » — suivi d’un « essai » de 2 000 à 2 500 mètres, que l’animal doit effectuer en donnant tous ses moyens. À cette répétition, où se glissent peu d’intrus, le propriétaire assiste le mardi et le samedi surtout ; il se rend compte des engagemens qu’il convient de faire, des progrès de l’un, qui montre son ambition, sa « volonté, » par la façon seule dont il pose ses jambes, du déclin d’un autre, qui prend, en vieillissant, le dégoût de son métier ou devient méchant à mesure que son sexe parle. Lorsqu’on approche du jour attendu, que le cheval est mis au point, « affûté, » de peur de dépasser le but en le fatiguant, la durée du travail diminue.

Le nombre maximum de courses sérieuses que l’on peut demander à un cheval de plat est d’une quinzaine par an. La veille ou le matin de l’épreuve, l’animal est arrivé au pesage, où il attend, avec un quart de seau d’eau et 4 litres d’avoine dans l’estomac, son entrée en scène. Rien qu’à les voir paraître sur la piste, les uns l’œil vif, les autres la figure résignée, le professionnel devine ceux qui manquent de conviction et ne « s’emploieront » pas.