Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/65

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une rigoureuse précision, au cas où ces derniers seraient menacés de voies de fait[1]. » — Et c’est, à coup sûr, un moyen de garantir l’ordre dans les parlemens ! — Sans illusion sur la capacité des ministres, ni sur l’habileté des diplomates, ni sur le courage des fonctionnaires ; révolté contre une administration qui n’est que routine et une justice qui n’est que formalités ; convaincu que la meilleure manière d’aimer le peuple est de lui serrer le mors et de tenir ses députés en bride ; plein de méfiance et ne trouvant pas naturel, comme il dit, qu’une émeute vaille au préfet de police un regain de popularité ; soupçonneux, ombrageux, jaloux, pour le souverain, des prérogatives souveraines ; ennemi juré des femmes, des chambellans, des officieux, de tout ce qui se mêle de politique dans l’alcôve, la chambre ou l’antichambre des princes, et qui du même coup mêle à la politique la sensiblerie, ou l’intrigue, ou l’adulation servile ; plus royaliste que le Roi ; adorateur de la force, et la sentant descendre en lui, ou plus exactement monter du fond de lui-même, ne la voyant nulle part en dehors de lui, et s’estimant par conséquent au très haut prix où il la met ; c’est ce Bismarck qu’était M. de Bismarck vers trente-cinq ans, en 1851[2], quand il fut chargé d’aller soutenir, près de la Diète fédérale à Francfort, les intérêts de la Prusse.


III

Il y allait rencontrer l’Allemagne, — peut-être serait-il plus exact de dire encore, comme autrefois, les Allemagnes, — et, derrière elles, l’Autriche ; au bout des avenues qui, de Francfort, s’ouvraient sur l’extérieur, il allait apercevoir l’Europe. A son arrivée, il était un assez petit personnage : « Son Excellence le lieutenant » passait, parmi toutes ces grosses Excellences, pour une Excellence secondaire. Les jours de gala, sa tunique, où n’était épinglée qu’une modeste médaille de sauvetage, disparaissait dans l’étincellement des fracs brodés d’or et surchargés de plaques avec diamans. La haute taille seule et la large carrure rappelaient que pourtant il était là. La réputation qui l’avait précédé n’avait

  1. Pensées et Souvenirs, t. I, p. 67.
  2. M. de Bismarck avait 36 ans, étant né, on se le rappelle, le 1er avril 1815, lors de sa nomination comme délégué de la Prusse à la Diète fédérale (15 juillet 1851).