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malaisé à saisir. Pareille chasse, en effet, était souvent infructueuse ; on citait des chevaux de ce genre, — compris dans une adjudication de « biens meubles, » à charge par l’intéressé de les appréhender s’il pouvait, — que « l’on faillit à prendre plus de cinquante fois en deux ans. »

C’était la race hagarde, solide et sobre plus que nulle autre, paraît-il, que les progrès de l’agriculture éliminèrent peu à peu en lui enlevant ses moyens d’existence. Les chevaux vagabonds qui, sous Louis XV, subsistaient encore, devaient être de pitoyables quadrupèdes, puisqu’en 1753, dans l’Orne, il en est vendu 3 pour 60 francs de notre monnaie et quelques mois plus tard un lot de 8 pour le même prix. Le paysan élevait des animaux de labour, du « genre vilain ; » en fort petit nombre d’ailleurs : à peine si un huitième des terres étaient cultivées avec des chevaux ; le fermier les estimait trop chers à nourrir, bien qu’il les nourrît fort mal, obligé de réserver souvent l’avoine pour le pain de sa famille.

L’estime que l’on faisait des bons chevaux au moyen âge nous est révélée par les soins dont ils étaient l’objet, les onguens, les emplâtres, confectionnés à leur intention avec des élémens coûteux : vin, miel, anis, mastic confit, etc. Et, quand ils tombent malades, on multiplie en leur faveur, pour suppléer à l’insuffisance du vétérinaire, les prières et les pèlerinages, voire les offrandes à saint Eloi en vue d’obtenir son intercession. Dans les temps modernes, malgré les efforts de Colbert et les étalons royaux, dont le régime varia du reste avec une perpétuelle incohérence, non seulement les chevaux manquaient, — il fallut en acheter à l’étranger pour plus de 300 millions de francs pendant les guerres de Louis XIV, — mais leur aspect était lamentable : corps petit, tête grosse, dit l’intendant de Pomereu, dans son rapport sur la généralité d’Alençon. Les jumens portaient trop jeunes, donnaient des produits « mois et lâches, » et les agronomes de 1700 ne trouvaient rien de mieux que de préconiser la méthode, réussissant, disaient-ils, en Perse et en Tartarie, qui consistait « à faire teter, par les poulains, une vache en même temps que leur mère. »

Quant aux chevaux de carrosse et « de figure, » la plupart venaient du dehors. Lors de la conclusion du traité des Pyrénées, le Roi, à son entrée solennelle dans la capitale, montait un coursier d’Espagne, Monsieur un barbe blanc ; la Reine était tramée par six danois gris-perle. La Grande-Bretagne nous procurait des