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Il a oublié le régime de son pays ; mangeant à sa faim, buvant à sa soif, il a grandi et a pris de la carrure. En 1700, la taille moyenne de la bête de pur-sang était de 1m, 41 ; celle du célèbre Curwen Bay Barb, dont l’empereur du Maroc fit présent à Louis XIV, était de 1m, 31, et, en 1765, Marske, le père d’Eclipse, paraissait surtout remarquable pour sa taille de 1m, 58. La moyenne est aujourd’hui de 1m, 61 ; augmentation de 30 centimètres en deux siècles qui n’est pas, comme le disait judicieusement un membre de la Chambre des Communes, à la portée de tout le monde.

Mais la colonie importée en Angleterre, au commencement du XVIIIe siècle, n’aurait pas tardé à dégénérer si elle avait été abandonnée à elle-même. Ses ancêtres, à la vie nomade, se trouvaient triés spontanément par l’effort de la guerre, par les voyages pénibles et longs de leurs maîtres. Le monde civilisé a remplacé ces épreuves naturelles par les courses ; elles prirent à Epsom, dès 1730, le caractère de fixité qu’elles devaient avoir en France cent ans plus tard, et qu’elles ont maintenant sur presque tout le continent.

Averti par elles de la valeur intrinsèque des sujets d’élite, l’éleveur ne se préoccupe plus uniquement des héros du jour ni de leur pedigree, — état civil immédiat. — Il dispose de nomenclatures étendues et approfondies, qui constatent, discutent et mesurent les « courans de sang, » essaient de pénétrer les mystères de l’hérédité, discernent et classent les familles de gagnans et les familles de reproducteurs, et permettent enfin au propriétaire d’une écurie de choisir les étalons qui monteront ses jumens, avec beaucoup plus de renseignemens qu’il ne pourrait faire pour les jeunes gens qui partageront le lit nuptial de ses filles. Qu’il s’agisse en effet de l’ouvrage allemand d’Hermann Goos, dont la préface est datée avec émotion du « 1er avril 1897, 133e anniversaire de la naissance d’Eclipse, » du livre de notre compatriote le commandant Cousté, ou de celui de l’Anglais Bruce Low sur le « système des nombres, » tous ces tableaux des filiations méritoires de pur-sang embrassent au moins un siècle et demi, c’est-à-dire vingt et une ou vingt-deux générations hippiques : ils rattachent les individus qui occupent on 1899 les programmes de courses aux fondateurs des familles arabes d’Occident.

Ces premiers patriarches du turf ne forment qu’une toute petite troupe : d’une centaine de poulinières émigrées en Grande-Bretagne,