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égards comme une sorte d’offense envers l’Italie, et s’alarmait à l’avance de la présence éventuelle d’un représentant du Pape à la conférence, comme si cette présence eût été, pour l’édifice unitaire, le plus grave des périls. Supposer un seul moment que la solidité de cet édifice fût à la merci d’une telle éventualité, c’est ce que jamais on ne se serait permis à Saint-Pétersbourg, de crainte de paraître impertinent. Mais il fallait bien se rendre à l’évidence, puisqu’un certain nombre d’organes du Quirinal multipliaient comme à plaisir cette supposition. Et la diplomatie accréditée près le Quirinal, non moins que celle accréditée près le Vatican, observait avec une curiosité stupéfaite ce déchaînement d’anxiétés. « Que ferait le Pape à la conférence ? » La Tribuna et l’Italia, spécialement, s’évertuaient à soulever les voiles de ce redoutable avenir. On commençait par la raillerie, et l’on demandait si les gardes suisses et les gendarmes du Vatican seraient impliqués, eux aussi, dans les combinaisons tendant à la réduction des armemens, si le Pape s’engagerait à ne point faire construire de torpilleurs, et s’il serait en mesure d’arrêter les foudres du ciel pour appliquer la décision qui proscrirait le lancement de projectiles du haut des aérostats. Mais ces plaisanteries avaient un terme ; on ne tardait point à évoquer le nom de Cavour, et ce souvenir devenait un prétexte d’effroi.

C’est dans un congrès, à Paris, en 1856, que Cavour avait préparé l’unité italienne : il avait obtenu, par des artifices de génie, que l’Italie embryonnaire trouvât sur le tapis vert des diplomates une place et un rang qu’elle n’avait point encore atteints sur la carte de l’Europe ; et les regards décontenancés de M. de Buol, représentant de l’Autriche-Hongrie, avaient assisté, impuissans, aux savantes évolutions de Cavour. Nul doute qu’en 1899 Léon XIII voulût faire comme le grand homme d’État piémontais : son représentant à la conférence de la paix susciterait brusquement la question romaine, et, de même qu’une assemblée de diplomates, surprise par un ministre habile, avait commencé de faire l’Italie, de même une autre assemblée de diplomates, surprise par un prêtre, commencerait ou achèverait de la défaire. Il fallait bien prendre garde : la Tribuna, suppliante et menaçante, l’exigeait du Quirinal. Et c’est en vain que la Perseveranza et le Popolo romano organes plus modérés et tout ensemble plus fiers, soustraits apparemment, l’un et l’autre, aux influences maçonniques, insistaient pour qu’on laissât entrer un délégué du Pape,