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quand je les connus mieux, de la répulsion pour leurs idées extravagantes, provenant d’un manque d’éducation et de leur ignorance des conditions d’existence telles qu’elles s’étaient formées dans le cours des siècles[1]. » Enfin, il fut sauvé d’un vague nationalisme allemand par un sens prussien très précis, rétif à la conception d’une Allemagne démesurément plus grande que la Prusse, et qui ne serait pas par elle. La crise, d’ailleurs, fut brève ; à dix-sept ans, il en était sorti : « Je revins à Berlin moins libéral que je ne l’avais quitté. » Et quand, après avoir traversé la magistrature et l’administration, d’abord à Berlin même, puis à Aix-la-Chapelle et à Potsdam, il revint, sur le désir de ses parens, gérer leurs biens de Poméranie « singulièrement embarrassés, » de son « libéralisme » de collège et d’université, il ne restait pas grand’-chose : jeunesse, pour lui, s’était passée.

De 1837, — Bismarck avait alors vingt-deux ans, — à 1847, — il en avait alors trente-deux, — il est allé de Külz à Kniephof ou à Jarchelin, d’une terre à l’autre, s’ingéniant à y appliquer les bonnes méthodes enseignées à l’école d’agriculture : il a chassé, couru à cheval, promené ses chiens, de grands dogues déjà, n’a su comment abattre son besoin de remuer et tromper son besoin d’agir ; on pourrait dire qu’il a vécu absolument de la vie un peu pesante et matérielle de ses voisins, en de copieux repas et d’interminables buveries où l’on tue le temps et où l’on noie les heures, s’il ne leur avait donné le scandale de recevoir parfois des caisses pleines de livres allemands ou anglais, qu’il a lus, — les historiens de préférence, — et le scandale, pire encore, d’écrire dans les gazettes locales pour y développer toutes sortes de projets de réforme. Devant « les propriétaires et leur famille, » devant les hobereaux poméraniens, ses pairs, il se permet d’être « mécontent de la bureaucratie. » Oui, en effet, très mécontent ; indigné d’avoir dû griffonner ou annoter des piles de mémoires « touchant le droit de meunerie et l’obligation pour les communes de contribuer à l’entretien de la digue de Rotzisprès Wustershausen ; » plein de bonnes histoires sur les Prätorius et les Bassewitz ; enclin à la critique ; prompt à mettre dans le même sac fonctionnaires, juges et diplomates du type consacré ; armé en guerre, dans son manoir de gentilhomme fermier, contre le gouvernement provincial de Stettin, le sous-préfet, les sergens-majors de district. À cette vie

  1. Pensées et Souvenirs, t. I, p. 2.