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Illusions, ce tableau du Louvre mille fois copié, est devenu populaire, sans propager son nom parmi le public.

Ses adeptes consultèrent surtout l’école de Pompéi et les vases grecs peints, cherchant le côté intime et anecdotique des mœurs et des costumes anciens. Après la raideur et l’insignifiance des élèves de David, ce fut comme une floraison de grâce familière et charmante.

Cependant, d’autre part, on voyait poindre quelques aspirations nouvelles ; une plus grande préoccupation de scènes populaires chez de jeunes artistes comme Bonvin, Antigua, Luminais, les Leleux ; Millet n’avait encore donné que cet Œdipe dont j’ai parlé. Rien ne faisait deviner son évolution féconde vers la nature rustique. Il s’y préparait dans la retraite, à Barbizon, à côté des paysagistes dont la renommée s’affirmait.

Le salon de 1848 ne mit au jour aucun nom nouveau. Il est resté célèbre par l’apparition première de ce gâchis grotesque qui va bientôt s’appeler l’art indépendant. Car il n’y eut pas de jury d’admission, et les portes furent ouvertes à tous. Je me souviens d’un Amour au milieu des Roses, de chevaux préhistoriques, de chèvres fantastiques de l’effet le plus délirant. Rien de plus comique. On avait alors le droit d’éclater de rire sans passer pour un béotien qui ne comprend rien aux déliquescences géniales. C’était un avant-goût des expositions impressionnistes que nous verrons plus tard. J’y fis connaissance d’un nom qui reviendra réjouir les jurys futurs, fidèle habitué de leurs refusés, avec ses apocalyptiques étalons, le peintre-vétérinaire Brivet. Pas de scènes révolutionnaires de la rue. Comme en 1893, on est trop près des événemens. D’ailleurs l’attention publique se tournait vers la politique, les problèmes sociaux, les sophismes de Proudhon. On vibrait sans repos aux superbes discours de Lamartine et de Ledru-Rollin, au lyrisme entraînant de Victor Hugo vers les aspirations humanitaires ; au délire des clubs qui, de toute part, s’ouvraient à Paris. Je me souviens de celui qui se tenait dans le palais des thermos de Julien, éclairé par quelques gras lampions. Au fond de cette ruine romaine, sous les voûtes sonores, parmi les rousses brumes de l’huile et les lueurs clignotantes, certaines têtes de démocs-socs, comme on disait alors, s’accentuaient en silhouettes féroces et fantastiques.

Les artistes eurent aussi leur club à la salle Valentino. Ne croyez pas qu’il n’y eût là que des rupins. Ingres et Delacroix y