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place définitive au musée du Louvre, au milieu des maîtres dont il avait la dévotion. Il ne fut pourtant pas un virtuose du pinceau, bien qu’il eût par instant des mouvemens d’entrain superbes. Sa touche lui ressemble, parfois timide et farouche, mais revêtant toujours un sentiment et une pensée.

Comme homme, Robert Fleury fut serviable et bon. Dans ses œuvres, il a exalté l’héroïsme bienfaisant ; il a pris parti pour le génie en lutte contre la superstition et l’ignorance persécutrice. Il s’est peut-être trop préoccupé de faire de sa peinture un enseignement moral. La générosité du but ne soutient pas toujours suffisamment l’imagination. Son trop grand respect des maîtres l’a poussé souvent aussi à imiter la patine du temps et à tomber dans le jaune. J’ai parlé de ses habitudes renfermées. On aurait tort d’y voir une défiance égoïste, rien ne serait plus loin de la vérité. Il appréciait la valeur du temps ; il se dérobait aux importuns, mais non aux services à rendre. Il avait la confiance désintéressée des braves gens. La première fois que je fus chez lui, il me dévoila, lui le grand inquiet, le secret de la porte de son atelier qu’il n’aurait pas livré aux puissans du jour ; et il fit cela avec une ingénuité touchante, car je ne lui étais même pas recommandé. Il m’a compris, et je lui en ai gardé une gratitude qui me fera toujours vénérer sa mémoire.

J’ai rencontré la même confiance chez Ary Scheffer. J’ai dit ailleurs comment j’osai me présenter chez lui et avec quelle bonté j’ai été reçu. Son atelier m’intéressa. Le talent du maître y apparaissait tout entier avec ses scrupules de bonne foi ; ses anciens enthousiasmes dont il se défiait ; sa soif de la perfection qui le refroidissait dans une sorte de vénération mystique où sombrait sa passion première pour les verdeurs romantiques. Il y avait là une reproduction par lui-même de son Larmoyeur d’un sentiment émouvant, tout rissolé de sauce bitumineuse ; un portrait de Béranger, de même style, très fouillé, très verni, d’une bonhomie finement madrée, d’un contentement de soi-même qui semblait escompter une immortalité aujourd’hui plus que douteuse ; puis le théâtral Jésus sur la Montagne, très noble, mais glacé, et, en ce moment, encore refroidi par des corrections à la craie ; à côté, sa petite Mignon aspirait au ciel. On voyait aussi, de son époque de transition, un portrait de Lamennais, chef-d’œuvre de physionomie amèrement refrognée ; un autre de Liszt jeune, maigre et long profil qui, sous les mèches tombantes de